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Impartialité

L’impartialité du juge : un enjeu pour l’institution judiciaire

L’arrêt rendu par la chambre criminelle le 13 janvier 2015 dans l’affaire AZF a retenu l’attention à double titre : d’abord parce qu’il a constitué un rebondissement judiciaire, plus de 13 ans après le terrible accident de Toulouse, mais surtout du fait de sa motivation. L’un des deux moyens de cassation retenus repose en effet sur l’existence d’un doute objectif sur l’impartialité d’un des magistrats qui avait statué en appel. Rare, ce moyen mérite que l’on s’y attarde, pas tant pour le sens de la décision en elle-même, qui s’imposait en l’espèce, que pour les questions qu’elle suscite pour l’avenir (n° 12-87.059 : JurisData n° 2015-000068 ; V. JCP G 2015, 221, note H. Matsopoulou ; JCP G 2015, 222, note J. Van Compernolle).

Le droit à être jugé par un tribunal impartial émane de l’article 6, § 1 de la CESDH. Depuis une décision du 1er octobre 1982 (n° 8692/79, aff. Piersack c/ Belgique), la Cour de Strasbourg a introduit une distinction entre l’impartialité subjective (le juge n’a pas d’a priori en son for intérieur) et l’impartialité objective (sa situation offre des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime). Elle a en outre souligné que les apparences peuvent revêtir une certaine importance dans la mesure où « il y va de la confiance que les tribunaux se doivent d’inspirer dans une société démocratique ».

C’est sur le double fondement de ce principe et de l’article préliminaire du Code de procédure pénale, que la chambre criminelle a pris sa décision, alors qu’un des trois conseillers de la cour d’appel de Toulouse était par ailleurs vice-président d’une association d’aide aux victimes, qui avait conclu, lorsque les débats en appel étaient encore pendants, une convention avec une autre association d’aide aux victimes, elle-même partie civile au procès.

Peut-on dégager des principes simples de cette décision ? Difficilement, tant la Cour de cassation, dans sa motivation, a voulu coller aux faits de l’espèce, évitant ainsi de prendre une position de principe trop engageante pour l’avenir, sur un sujet sensible dans la psychologie du monde judiciaire.

La règle doit pourtant être intelligible et prévisible, et plus encore aujourd’hui, à une époque où les juges n’échappent pas à la tentation médiatique ni à celle des réseaux sociaux, de telle sorte que leurs engagements personnels, notamment politiques, syndicaux et associatifs, peuvent facilement être connus des justiciables et sont dès lors susceptibles de faire naître un doute objectif dans l’esprit de ces derniers, quand ils identifient ou croient identifier une corrélation entre les actes publics de la personne privée et ceux du magistrat.

Or, non seulement l’image de la justice, mais aussi son efficacité requièrent que ce type de difficulté soit traité en amont plutôt qu’a posteriori, comme ce fut le cas dans le dossier AZF.

Deux réponses existent aujourd’hui face à cette attente légitime.

La première est à l’initiative du justiciable, qui peut engager avant son procès une procédure de récusation. Mais la mise en œuvre de cette procédure induit nécessairement une mise en cause personnelle du magistrat, peu compatible avec la recherche d’une impartialité objective. À la lecture de l’arrêt AZF, la chambre criminelle semble pourtant privilégier cette voie puisqu’elle retient en l’espèce l’impartialité objective comme motif de cassation, dans la mesure où les prévenus n’avaient pas pu engager une procédure de récusation en temps utile (i.e. avant le début du procès).

La seconde réponse émane du juge, qui doit se déporter de lui-même, dès lors qu’il identifie une cause qui pourrait susciter chez le justiciable un doute objectif sur son impartialité. C’est d’ailleurs le choix qu’avait prudemment fait le conseiller concerné avant le début du procès. Le président de la chambre partageait son analyse, mais cette solution avait été refusée par le premier président de la cour d’appel de Toulouse.

On comprend ici que la problématique est probablement moins juridique que psychologique, sociologique et culturelle, dans la mesure où le fait de se déporter est souvent considéré à tort par le juge comme une forme d’aveu de faiblesse, pour ne pas dire de faute, alors qu’il devrait au contraire être perçu comme contribuant à mettre en œuvre une justice plus impartiale.

Ce constat devrait probablement inciter le Conseil supérieur de la magistrature, qui a élaboré en 2010 un Recueil des obligations déontologiques des magistrats, traitant notamment de l’impartialité, à approfondir ses travaux dans un sens plus concret et opérationnel, au service des justiciables, des juges et de l’institution judiciaire.

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Bruno Quentin

Bruno Quentin

Avocat à la Cour, Gide Loyrette Nouel
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