Les cinq ordonnances du 22 septembre 2017 sont parues : où est « l’inversion des normes » partout dénoncée ?
Une réelle « inversion de la hiérarchie des sources du droit du travail » mettrait le contrat de travail tout en haut, et la Constitution tout en bas. Le ridicule tue.
Par pudeur, on n’évoquera pas non plus les sources internationales et nationales: Constitution, traité, loi puis règlement n’ont pas changé de place le 22 septembre 2017.
Alors entre loi et convention collective ?
La négociation « dérogatoire » est certes née en janvier 1982, et depuis plus rien n’est comme avant. Car le droit du travail permettait certes aux conventions collectives de déroger à la loi, mais seulement in melius avec « l’ordre public social » (en résumé : plus on descend dans les sources, plus les avantages montent).
Pour donner aux entreprises une meilleure flexibilité interne plutôt qu’externe (i.e. licenciements économiques), les partenaires sociaux peuvent depuis 1982 retenir, par le biais d’accord collectif exclusivement, une règle différente : plus favorable comme avant mais aussi moins favorable, bref différente de celle prévue par le Code, élargissant considérablement le domaine de la liberté conventionnelle (ex : les accords « donnant-donnant » sur l’emploi). Mais quand la loi les y autorise expressément, dans le cadre qu’elle fixe, gardant donc (évidemment) sa suprématie.
Alors inversion de la hiérarchie des sources conventionnelles ?
Depuis la loi Fillon du 4 mai 2004, entre conventions collectives, la hiérarchie avait déjà cédé la place à l’articulation : l’accord d’entreprise ne devait plus forcément être plus favorable que la convention de branche. Il pouvait y « déroger », à moins que cette dernière n’en dispose expressément autrement, et hors des quatre hypothèses exclues par la loi. Au sein du champ conventionnel, ce n’était donc plus automatiquement le « principe de faveur » qui jouait ; mais la branche pouvait verrouiller d’en haut et c’est ce qu’il advint, ses négociateurs n’ayant guère envie de…scier la branche sur laquelle ils étaient assis. Toujours pas d’inversion des normes.
De la « dérogation à » à la « supplétivité de ». C’est la loi du 8 août 2016 qui instaura, en matière de temps de travail où chaque entreprise a ses propres besoins de réactivité, une double supplétivité. Dans le cadre fixé par la loi, l’accord d’entreprise peut par exemple fixer son taux de majoration sans se préoccuper de la branche, cette dernière étant supplétive. Et en l’absence de l’un et l’autre, la loi fixe des règles supplétives en forme de voiture-balai. Réforme limitée au temps de travail…
L’ordonnance du 22 septembre 2017 a fait de cette supplétivité le principe. Pour comprendre sa portée, il faut commencer par le très discret troisième article de la présentation légale, le « bloc 3 » de l’article L.2253-3 nouveau : « Dans les matières autres que celles mentionnées aux articles L.2253-1 et L. 2253.2, les stipulations de la convention d’entreprise (…) prévalent sur celles ayant le même objet prévues par la convention de branche ».
Donc en dehors des thèmes limitativement énumérés dans les deux articles qui précèdent (Bloc 1, dont les 13 thèmes s’imposent à l’entreprise; Bloc 2, où la branche garde la main si elle dit expressément), « les stipulations de la convention d’entreprise prévalent ».
Nous y voilà, et là réside la seule « inversion des normes » des quinze dernières années : désormais largement auto-norme, l’accord d’entreprise s’affranchit de la convention de branche, « quelle que soit la date d’entrée en vigueur » de cette dernière.
A fortiori car, même s’agissant des blocs 1 et 2 où la branche est censée faire autorité, l’ordonnance précise « sauf lorsque la convention d’entreprise assure des garanties au moins équivalentes ». Révolution (créer une prime de garde d’enfant à place de celle d’ancienneté de la branche), ou simple rappel de l’ordre public social ?
Dans les deux cas, il ne faut guère s’attendre à une explosion de tels accords: d’une part la loi du 4 mai 2004 avait été un échec, les partenaires sociaux n’osant pas s’attaquer au tabou de la Branche, loi économique et sociale de leur profession. D’autre part, car ils doivent aujourd’hui être signés par des syndicats majoritaires : on leur souhaite bien du courage aux prochaines élections. Avec la reprise sur le marché du travail enfin, les meilleurs talents vont-ils candidater, ou continuer à travailler dans cette entreprise jugée moins-disante que la concurrence ?
L’inversion du marché…