Responsabilité pénale de l’absorbante : les vérifications indispensables en amont d’une mise hors de cause
Le 13 avril dernier (Crim., 13 avril 2022, n°21-80.653), la Cour de cassation est venue préciser la portée de son revirement « historique » de jurisprudence rendue, de manière très pédagogique, en 2020 en matière de transfert de responsabilité pénale en cas de fusion-absorption.
Pour rappel, sous l’influence notamment du droit européen et du droit de l’Union européenne, la Cour de cassation avait énoncé le 25 novembre 2020 (Crim., 25 novembre 2020, n°18-86.955) qu’une société absorbante pouvait faire l’objet d’une condamnation pénale pour une infraction commise, par la société absorbée, antérieurement à l’opération de fusion-absorption, dans deux hypothèses : (i) lorsque des sociétés anonymes et/ou sociétés par actions simplifiées (sociétés entrant dans le champ d’application de la directive 75/855/CEE du Conseil du 9 octobre 1978) réalisent, postérieurement au 25 novembre 2020, une fusion-absorption ; ou (ii) lorsque des sociétés qui fusionnent – quelles que soient leurs formes et quelle que soit la date de la fusion – fusionnent en fraude à la loi, la fusion n’ayant pour seul objet que de faire échec aux poursuites pénales à l’encontre de la société absorbée.
C’est à propos de la nécessité de cette vérification relative à l’absence de fraude à la loi que la Chambre criminelle apporte des précisions intéressantes dans son récent arrêt en appliquant la jurisprudence de 2020 au stade de l’instruction.
La procédure était relativement simple : une plainte avec constitution de partie civile était déposée en 2014 du chef de recel d’abus de biens sociaux commis par une société à l’occasion d’une opération de promotion immobilière. Neuf ans auparavant, l’actionnaire unique (personne morale) de la société visée dans la plainte avait décidé de la dissoudre par anticipation et de transmettre son patrimoine à son propre bénéfice. Le juge d’instruction clôture son information judiciaire en prononçant un non lieu au bénéfice de l’absorbante, non lieu confirmé ensuite par la chambre de l’instruction. L’arrêt de la chambre de l’instruction se place à la date de la fusion (en 2005) et fonde sa solution sur le principe de responsabilité du fait personnel (article 121-1 du Code pénal) tel qu’appliqué de manière constante, à cette époque, par la Cour de cassation, concluant donc à l’impossibilité de sanctionner une autre personne que la société absorbée, seule auteur de l’infraction.
Mais la Cour de cassation sanctionne ce raisonnement et affirme que les juridictions d’instruction ne sauraient prononcer un non-lieu fondé sur la dissolution de la société absorbée contre laquelle elles relèvent des charges suffisantes d’avoir commis les faits, sans vérifier si les conditions pour exercer des poursuites à l’encontre de la société absorbante ne sont pas susceptibles d’être remplies, c’est-à-dire, en l’espèce s’agissant d’une fusion intervenue antérieurement au 25 novembre 2020, sans vérifier l’existence d’une éventuelle fraude à loi.
Il s’agit donc désormais pour les juridictions d’instruction (Crim., 13 avril 2022, n°21-80.653) comme pour les juridictions de jugement (Crim., 25 novembre 2020, n°18-86.955), préalablement au prononcé d’une mise hors de cause d’une société absorbante (non lieu ou relaxe), de mener des investigations préalables afin de s’assurer que l’opération de fusion se justifie par une autre raison que de vouloir soustraire l’absorbée aux poursuites pénales. Tâche probatoire compliquée pour les juges qui devront – parfois 17 ans après comme dans l’arrêt du 13 avril – exhumer le calendrier de l’opération, le traité de fusion et tout document préparatoire (due diligences, protocole, projet de fusion, etc.) justifiant du calendrier, de la connaissance éventuelle de l’infraction préalablement commise et de la raison profonde ayant animé les initiateurs de l’opération (voir en ce sens F Stasiak, n°1006, La Semaine juridique, n°2, 14 janvier 2021, Entreprise et affaires, page 20). Les victimes des infractions commises par l’absorbée, qui craignent l’impunité de l’absorbante, pourront utilement initier ce travail de justification du caractère opportuniste de la fusion, au besoin en sollicitant des magistrats qu’ils procèdent à divers actes d’investigation à tous les stades de la procédure pénale (dépôt d’observations portant sur la nécessité de procéder à de nouveaux actes d’enquête (article 77-2 du CPP) ; demande d’acte d’instruction ; demande d’actes ou demande de supplément d’information au stade du jugement).
Par Rémi Lorrain, ancien secrétaire de la Conférence – Cabinet Darrois Villey Maillot Brochier