Dans un entretien accordé au New York Times, le 22 novembre dernier, Donald Trump a indiqué qu’il gardait l’esprit « ouvert » à propos de l’Accord de Paris. On se souvient que, durant sa campagne, il avait annoncé vouloir « annuler » cet accord. La communauté internationale réunie à Marrakech à l’occasion de la COP 22 s’était inquiétée de cette position : les Etats-Unis étant responsables de près de 18% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, leur retrait pourrait compromettre le respect de l’objectif de limitation du réchauffement climatique à 2° C.
On peut toutefois espérer que le Président élu revienne sur cette annonce. Certes, il aurait techniquement la possibilité de dénoncer l’Accord de Paris. Toutefois, la future administration Trump prendrait alors un double risque, diplomatique et juridique.
Un retrait de l’Accord de Paris serait techniquement possible, dans un délai d’un à quatre ans
Sur le plan procédural, si le gouvernement américain ne possède bien entendu pas le pouvoir « d’annuler » l’accord pour l’ensemble des Etats signataires, il peut néanmoins s’en retirer. Il disposerait alors de deux voies pour le dénoncer.
La première, la voie normale, serait la plus longue. L’Accord de Paris prévoit la possibilité pour un Etat de se retirer, mais seulement après un certain délai : la dénonciation est possible trois ans après son entrée en vigueur – soit à partir de novembre 2019. En outre, le retrait ne peut prendre effet qu’un an après : au mieux, un retrait des Etats-Unis ne serait donc effectif qu’en novembre 2020, soit à la fin du mandat de Donald Trump.
Une solution alternative mais plus radicale consisterait à dénoncer un autre traité : la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC), signée à Rio en 1992. Le retrait de la Convention-cadre entraînerait ipso facto le retrait de l’Accord de Paris. Dans cette hypothèse, le retrait prendrait effet dans un délai abrégé d’un an.
Plus simplement, la future administration Trump pourrait décider de ne pas appliquer l’Accord de Paris. Dans leur contribution déterminée au niveau national (CDN, ou INDC, acronyme anglais de « Intented Nationally Determined Contribution »), les Etats-Unis se sont engagés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre entre 26% et 28% d’ici à 2025, sur la base des émissions de 2005. Or, l’Accord de Paris ne prévoit pas de réelle sanction en cas de non-respect de ces objectifs. Les Etats-Unis pourraient donc impunément ne pas tenir leur engagement.
Le retrait des Etats-Unis de l’Accord de Paris se heurterait toutefois à deux grands risques. Le premier est d’ordre diplomatique.
Le risque diplomatique : l’isolement des Etats-Unis
Certains craignent l’« effet domino » : d’autres Etats, constatant que les Etats-Unis se désengagent, pourraient à leur tour décider de se retirer ou ne pas respecter leurs engagements climatiques. Ce scénario catastrophe n’est pas à exclure.
Toutefois, le scénario plus probable est plutôt celui d’un « effet boomerang » contre les Etats-Unis, qui se retrouveraient isolés sur la scène diplomatique. Comme l’a montré la COP 22, le consensus mondial qui s’était dégagé à Paris sur la lutte contre le changement climatique s’est poursuivi et consolidé à Marrakech. S’ils se retiraient du jeu, les Etats-Unis prendraient le risque de se placer d’eux-mêmes en dehors de ce grand mouvement, laissant le champ libre aux autres puissances. La Chine, aujourd’hui déterminée à agir, et l’Union européenne pourraient saisir cette opportunité pour tenter de prendre le leadership de l’économie décarbonnée.
Le risque juridique : la responsabilité climatique des Etats-Unis
Des dommages vont résulter du réchauffement climatique. Qui va payer ? Le gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mark Carney, dans un discours prononcé le 29 septembre 2015 devant les Lloyd’s of London (représentant le secteur de l’assurance), observait que la vitesse d’élévation du niveau de la mer n’a jamais été aussi forte et que, depuis les années 1980, le nombre de sinistres causés par les intempéries a triplé. Il s’inquiétait des « risques en responsabilité » (« liability risks ») : que se passerait-il « si des parties ayant souffert de pertes ou de dégâts dus aux effets du changement climatique cherchaient une compensation par ceux qu’ils tiendraient pour responsables »?
Si les Etats-Unis se retiraient de l’Accord de Paris, des actions en justice pourraient être engagées contre le gouvernement américain par des victimes du réchauffement climatique. Ces procès pourraient être conduits devant les juridictions américaines, voire devant les juridictions nationales d’autres pays ayant subi des dommages. Les juges pourraient estimer que la décision de l’administration Trump de se retirer de l’Accord de Paris ou de ne plus l’appliquer constitue une faute et en demander réparation.
Une chose est certaine : en France, un tel retrait serait inconstitutionnel. Il serait en effet contraire à l’article 10 de la Charte de l’environnement qui prévoit que « l’action internationale de la France » doit s’inspirer des objectifs de protection de l’environnement. En outre, le retrait d’une réglementation comme le Clean Power Plan serait probablement contraire au principe « de non-régression », un principe inscrit dans la loi. Enfin, il méconnaîtrait la jurisprudence du Conseil d’Etat : par une décision du 3 mars 2004, Ministre de la solidarité, la cour administrative suprême a condamné l’Etat pour « carence fautive », pour ne pas avoir édicté des règlementations suffisamment protectrices de la santé, alors même que les risques liés à l’exposition des travailleurs aux poussières d’amiante étaient mises en évidence par les études scientifiques.
Il n’est pas impossible que les juges américains s’inspirent de ces principes juridiques. Dans cet esprit, et peut-être comme prémisse d’une évolution possible, on mentionnera la décision provisoire de la Cour fédérale de l’Oregon du 10 novembre 2016. En août 2015, un groupe de 21 enfants et adolescents de l’association Our Childen’s Trust a intenté un recours contre l’État fédéral en invoquant leur droit constitutionnel à la vie, à la liberté et à la propriété (Due Process Clause) et la doctrine du « Public Trust » selon laquelle l’État est garant des ressources naturelles, afin d’obtenir des mesures concrètes de lutte contre le réchauffement climatique.
Une chance : la mobilisation de la société civile américaine pour le climat
Paradoxalement, le respect par les Etats-Unis de leurs engagements climatiques pourrait venir de la société civile, davantage que du gouvernement fédéral.
Au sein des Etats-Unis, les acteurs locaux se sont engagés de longue date pour les énergies propres. De même, près de 400 entreprises américaines viennent de lancer un appel à leurs élus pour « la poursuite de la participation des Etats-Unis à l’Accord de Paris ».
Cette mobilisation permet de conserver un certain optimisme : quelles que soient les réticences de l’administration Trump, les Etats-Unis pourraient continuer leurs efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ce constat rejoint d’ailleurs les observations du rapport de la Commission environnement du Club des juristes sur le rôle grandissant des acteurs non étatiques sur la scène internationale (« Renforcer l’effectivité du droit international de l’environnement », téléchargeable sur le site du Club des juristes : https://www.leclubdesjuristes.com/rapport-renforcer-lefficacite-du-droit-international-de-lenvironnement-devoirs-des-etats-droits-des-individus/). Plus que jamais, la protection de l’environnement est l’affaire de tous citoyens.