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Etat d’urgence

Comment concilier état d’urgence et Etat de droit ?

C’est l’épineuse question à laquelle le gouvernement est actuellement confronté. L’émotion suscitée par les attentats du 13 novembre nécessitait évidemment de la part des pouvoirs publics une réaction sans précédent. Mais la solidarité naturelle que nos concitoyens doivent à l’Etat français dans ses efforts pour éradiquer la menace terroriste ne doit pas les conduire à oublier le danger, pour prétendre y arriver, à neutraliser leurs propres libertés.

Car au-delà des bavures policières qui chaque jour émaillent l’actualité, c’est bien la logique même du recours à l’état d’urgence pour lutter durablement contre le terrorisme qui est en cause. En vantant le nombre considérable des perquisitions et saisies réalisées ces dernières semaines, le gouvernement, loin de justifier son action, met en lumière les dérives d’un Etat policier. Hors la présence du juge et de la contrainte du droit, il n’y a plus de frein à l’action des forces de l’ordre. Débridées, leur comportement aurait dû être exemplaire. Tout à l’inverse, sous le contrôle des administrations auxquelles elles appartiennent, leur intervention semble avoir perdu toute mesure.

Mais le plus terrible est la justification de ces actions. Le discours est désormais bien éprouvé. Dans les médias, les différents tenants de l’autorité reprennent inlassablement la même idée : la première des libertés des français est la sécurité et pour la préserver, il faut accepter de rogner sur d’autres droits fondamentaux qui ne peuvent plus être pleinement assurés. A les en croire, l’état d’urgence serait un mal nécessaire pour pouvoir lutter efficacement contre le terrorisme. Mais en opposant sécurité et liberté, le gouvernement alimente l’idée délétère que le droit est l’ennemi d’une répression légitime. En creux, les pouvoirs publics laissent entendre que le juge et les droits qu’il garantit sont un obstacle à l’action de l’exécutif. A bien les écouter, les libertés fondamentales seraient un luxe dont un Etat n’aurait plus les moyens quand le risque pour les individus qui le composent serait trop grand. Comment ne pas y voir un risque considérable pour notre démocratie ?

Sans qu’il soit nécessaire de se risquer à établir des parallèles qui prêteraient trop à controverse, l’Histoire a pourtant largement démontré combien un tel raisonnement pouvait être dangereux. Au contraire, c’est parce que la menace est grande pour une population et que la répression contre ceux qui l’alimentent doit être la plus efficace, qu’il est nécessaire que le pouvoir exécutif se soumette encore plus strictement au contrôle du juge. C’est là le seul moyen d’assurer à l’ensemble des citoyens que les actions exceptionnelles que le gouvernement met en œuvre pour répondre à des menaces exceptionnelles restent proportionnées et légitimes.

Aujourd’hui, tout au contraire, l’Etat français a déjà annoncé qu’il envisageait de déroger aux obligations de la Convention européenne des droits de l’homme. Combien de temps cette situation durera-t-elle ? Trois mois ? La menace terroriste aura-t-elle disparu à ce moment ? Qui pourrait le croire ! Ne soyons pas naïfs. Le ministre de l’intérieur a déjà laissé entendre à plusieurs reprises qu’un renouvellement de l’état d’urgence était à prévoir. Le Président de la République de son côté se bat pour une révision constitutionnelle à marche forcée destinée à inventer un outil juridique adéquat lui permettant de recourir à ce régime d’exception à chaque fois qu’il en éprouvera le besoin.

Jusqu’où faudra-t-il aller ? Quelle sera la réponse du pouvoir judiciaire face à ce coup de force ? En matière de terrorisme, la Cour européenne alerte régulièrement les Etats membres du Conseil de l’Europe du risque de « saper, voire de détruire, la démocratie au motif de la défendre ». On comprend mieux que le gouvernement ait voulu se libérer au plus tôt de son contrôle.

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Patrice Spinosi

Avocat au Conseil d'État et à la Cour de Cassation
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