Vers une pénalisation du droit de l’environnement ?
Le droit pénal a principalement pour tâche d’assurer la protection des valeurs ou intérêts que le législateur estime dignes d’une attention particulière : la vie humaine, l’intégrité corporelle, la famille, certains sentiments tels que l’honneur ou la réputation, ou encore la sûreté de l’État et la santé publique. Bien que l’environnement figure parmi les intérêts fondamentaux de la Nation énumérés à l’article 410-1 du Code pénal, aucune incrimination de son livre IV ne s’y rapporte. Les infractions environnementales sont en réalité éparpillées dans de nombreux autres codes.
Cette fragmentation, aggravée par une technicité particulière, conduisent les observateurs à juger le droit pénal de l’environnement souvent inefficace. La mission d’inspection conjointe des ministères de la justice et de l’écologie a récemment qualifié le contentieux civil et pénal de l’environnement de « délaissé » et « d’invisible ». François Molins, Procureur général près la Cour de cassation a même évoqué le 30 janvier 2020 à l’Assemblée nationale une « dépénalisation de fait du droit de l’environnement ». En l’absence de procès, une impression d’impunité domine alors même que la réprobation sociale à l’égard des atteintes à l’environnement ne cesse d’augmenter.
En réaction à cette situation, la proposition de la Convention citoyenne pour le climat de reconnaitre un crime d’écocide adossé à un délit d’imprudence peut paraitre séduisante. L’incrimination fixerait des limites, qui restent à préciser, dont la violation exposerait son auteur à une mise en accusation devant une Cour d’assises. En réaction, le garde des Sceaux propose un « délit qui réprimera les atteintes majeures à l’air, l’eau et le sol », sous tendant à raison que de nombreuses atteintes restent encore insaisissables par le droit pénal. Quant aux associations et juristes spécialisés, nombreux sont ceux qui appellent à la création d’un délit de mise en danger de l’environnement.
Quelle que soit la ou les propositions retenues – les unes ne s’opposant d’ailleurs pas aux autres – la seule évolution des incriminations ne permettra pas de pallier le défaut d’effectivité du droit de l’environnement. Le principe constitutionnel de clarté de la loi pénale supposera de maintenir des centaines d’incriminations applicables à des situations particulières en matière de chasse, de pêche, d’installations classées ou de déchets.
Au-delà des incriminations, c’est l’ensemble de la chaîne pénale qu’il faut améliorer : en amont, la police de l’environnement souffre d’un déficit chronique de moyens et de formation. Ses agents, souvent très compétents d’un point de vue technique, ne disposent pas toujours de la culture judiciaire nécessaire à une bonne qualité des procès-verbaux. En aval des enquêtes, la qualité des décisions rendues par les juridictions, gage de l’efficacité du droit de l’environnement, suppose des juges régulièrement formés à un contentieux technique faisant appel à de nombreuses connaissances extra-juridiques liées à la compréhension du vivant. Au centre, les orientations données par les parquets devraient être fondées sur une politique pénale définie en concertation avec les principaux acteurs institutionnels et associatifs du territoire. A l’instar de la lutte contre le terrorisme ou la criminalité organisée, la solution de la spécialisation apparait comme la mieux adaptée. Elle suppose de spécialiser à la fois les magistrats du siège et du parquet et d’écarter l’idée d’un parquet national au regard des enjeux extrêmement locaux des atteintes à l’environnement.
C’est le sens du projet de loi sur le parquet européen et la justice pénale spécialisée qui sera prochainement débattu à l’Assemblée nationale. Ce texte, qui prévoit de créer des « pôles régionaux spécialisés en matière d’atteintes à l’environnement » sera probablement le dernier du quinquennat à modifier les dispositions du Code de procédure pénale. Eric Dupond-Moretti, évoquant l’idée d’un délit réprimant l’ensemble des atteintes à l’environnement, semble ouvrir la possibilité d’amender le projet de loi sur le plan des incriminations, sans attendre le référendum demandé par la convention citoyenne. En agissant, sous la pression de l’opinion, sur l’ensemble de ces fronts, le législateur va-t-il enfin pénaliser le droit de l’environnement ?
Par Sébastien Mabile, avocat associé Seattle-avocats, membre de la commission environnement du Club des juristes.