Le projet de loi Macron comporte plusieurs articles relatifs au droit des entreprises en difficulté. L’un d’eux envisage de mettre en place une « spécialisation » des tribunaux de commerce (TC). L’objectif est louable, puisqu’il s’agit de renforcer l’efficacité de la justice commerciale, instrument essentiel dans le fonctionnement de notre économie. La réforme pourrait cependant être améliorée.
Le projet prévoit qu’une compétence exclusive serait donnée à certains TC, dans le ressort d’une ou plusieurs cours d’appel, pour traiter des dossiers les plus difficiles. Précisément, seraient concernées trois catégories de procédures : celles visant des entreprises dépassant certains seuils (nombre de salariés, chiffre d’affaires) ; celles visant des entreprises ayant des établissements dans le ressort de plusieurs juridictions et dépassant là encore certains seuils ; et les procédures ayant un caractère international.
Aux juridictions commerciales, les dossiers les plus importants ! Et aux autres ? S’il ne reste aux « petits tribunaux » que les dossiers les plus simples, concernant les entreprises les plus petites, on peut s’attendre à un mouvement de protestation, et même à une nouvelle grève des juges consulaires.
Si les 3.000 et quelques juges des tribunaux de commerce devaient cesser de rendre des décisions, ce seraient des centaines de magistrats de carrière qu’il faudrait alors affecter aux dossiers commerciaux. Le coût d’une telle mesure serait sans doute difficilement supportable par le budget de la Justice, car les juges des tribunaux de commerce exercent leurs fonctions gratuitement. Au-delà de cette question financière, il faut prendre conscience que l’on se priverait de la première des qualités de la justice commerciale, qui permet que les chefs d’entreprise soient jugés par leurs pairs. Ce système reposant sur des juges élus présente l’avantage de faire intervenir, sur des questions touchant à la gestion des entreprises, des experts de celle-ci, c’est-à-dire des juges ayant l’expérience de la gestion concrète d’une entreprise.
Avec la spécialisation, les tribunaux les plus importants devraient se voir réserver les dossiers les plus sensibles, dont devraient par conséquent être dessaisies les juridictions les plus petites. L’idée de mettre les dossiers les plus complexes entre les mains des juges les plus expérimentés est bonne. Simplement, plutôt que d’opposer grands et petits tribunaux de commerce, la réorganisation de la carte judiciaire commerciale devrait se faire différemment. Pourquoi ne constituerait-on pas un ou plusieurs pôles communs par région, réunissant les juges les plus expérimentés de toutes ces juridictions, et auxquels on confierait les dossiers complexes ? On mettrait ainsi ces dossiers entre les mains des juges les plus avertis, sans pour autant créer des catégories au sein des tribunaux de commerce. Cette initiative pourrait d’ailleurs être étendue à d’autres aspects du droit économique, comme la concurrence déloyale.