Un jour, quand la noble foule des coqs gaulois se sera fatiguée d’avoir chanté aussi fort la splendeur du politique tenant l’économique en l’état, on prendra un peu de recul sur le décret du 14 mai 2014 relatif aux (nombreux) investissements étrangers désormais soumis à autorisation administrative préalable. On décillera peut-être sur ses effets pervers, notamment sous l’angle de la croissance, et on se demandera ― enfin ― si tout cela ne fait pas payer un prix bien lourd sur le terrain des libertés.
Gardons à l’esprit que les normes juridiques supérieures, d’ordre constitutionnel, international ou jurisprudentiel, ne se dressent pas bêtement devant le triomphe de la volonté. Elles ont été instaurées pour préserver des valeurs ou des biens que l’on a jugés dignes de la plus haute protection à la lumière de décennies de pensée, d’expérience ou de négociation. Dit autrement, la liberté d’entreprendre, la liberté d’établissement, la libre circulation des capitaux ne sont pas posées là par hasard, mais parce que nos pères en ont très murement conçu la nécessité. Il n’est donc pas anodin de s’en faire des papillotes. Les contraintes nées du droit supérieur ne sont ni illégitimes, ni déraisonnables, ni irréfléchies.
Quelques préceptes juridiques gagnent à être remis au cœur du débat. Entre autres, ceux-ci : 1) La liberté économique est de principe. 2) L’idée même d’une autorisation administrative préalable lui contrevient par définition. 3) L’État, par voie de conséquence, ne peut imposer ce type d’autorisation que par exception et dans un champ restreint. 4) Il ne peut le faire que pour des motifs déterminants d’intérêt général et moyennant démonstration de ce que ces motifs justifient pour de bon et de manière non disproportionnée cette limitation de la liberté…
Le décret sur les investissements étrangers doit être lu à cette lumière. Pour discuter de sa légalité, bien sûr, parce qu’elle ne va pas de soi. Mais aussi parce qu’il est politiquement intelligent de le passer à ce crible. Pourquoi ? Parce que le goût de poser ces questions et notamment de savoir, en droit, si une mesure de cet ordre n’est pas disproportionnée nous offre un moyen optimal de déterminer si la masse de ses inconvénients ne va pas déborder celle de ses avantages et si, au bout du compte, elle n’est pas excessive.
La vie politique française est, de longue date et de plus en plus gravement, rongée par l’hyperréactivité, le court-termisme, la submersion idéologique et la tyrannie émotionnelle. Pour aller à rebours de cette pente, nous avons plus que jamais besoin de prendre les contraintes juridiques au sérieux, de tirer profit du capital d’expérience et de réflexion dont elles héritent. Et, dans le cas d’espèce, de nous appuyer sur elles pour appliquer à ce décret la bonne dose d’esprit critique qu’il requiert.