Le futur règlement européen « Digital Markets Act » , tel que proposé par la Commission européenne le 15 décembre 2020, a donné lieu à de nombreuses discussions, tant du côté des professionnels du droit que des entreprises. Ce règlement, qui a pour objectif d’encadrer les pratiques de certaines entreprises sur les marchés numériques, vise en particulier ceux qui ont été désignés comme contrôleurs d’accès (« gatekeepers », en anglais).
Les opérateurs proposant ce que la Commission nomme « les services de base des plateformes » pourront être qualifiés de gatekeepers, en application de trois critères cumulatifs. Aussi, seront concernées les entreprises ayant un impact significatif sur le marché intérieur, qui contrôlent un point d’accès important des entreprises utilisatrices pour atteindre les consommateurs finaux et, enfin, qui occupent une position solide et durable sur le marché.
Le critère de l’impact significatif est présumé rempli si l’entreprise réalise un chiffre d’affaires annuel dans l’espace économique européen (EEE) de 6,5 milliards d’euros au cours des trois derniers exercices, ou justifie d’une capitalisation boursière moyenne ou d’une juste valeur marchande équivalente d’au moins 65 milliards d’euros au cours du dernier exercice. L’entreprise doit également fournir ses services dans au moins trois Etats membres. Le critère du contrôle du point d’accès est présumé rempli lorsque l’entreprise compte plus de 45 millions d’utilisateurs finaux actifs mensuels établis dans l’Union européenne (UE) et plus de 10.000 entreprises utilisatrices actives par an dans l’Union au cours du dernier exercice. Enfin, le critère de stabilité est satisfait si l’entreprise a rempli le critère du contrôle du point d’accès au cours de chacun des trois derniers exercices financiers. De tels critères visent donc implicitement des entreprises telles que les Gafa.
L’encadrement des pratiques par des obligations et interdictions contraignantes
La régulation des pratiques des gatekeepers passe par deux listes d’interdictions et d’obligations. Par exemple, la proposition de règlement prévoit l’interdiction des pratiques d’autopréférence, consistant pour les plateformes à faire bénéficier aux services et produits qu’elles proposent d’un traitement plus favorable en termes de classement que les services et produits similaires proposés par des tiers sur leur plateforme.
Néanmoins, les outils en vigueur permettent déjà de sanctionner de tels abus lorsque cela est approprié. Ainsi, il y a un mois, l’Autorité de la concurrence a sanctionné Google à hauteur de 220 millions d’euros pour avoir abusé de sa position dominante en accordant un traitement préférentiel à ses technologies propriétaires, au détriment de ses concurrents et des éditeurs.
Dès lors, si le règlement est annoncé comme un outil complémentaire aux règles de concurrence existantes, la question de la pertinence de créer un nouveau droit spécial de la concurrence digitale se pose. En effet, l’adaptation des règles classiques de la concurrence relatives aux ententes et aux abus de position dominante aurait pu s’avérer plus approprié et plus flexible.
Des pouvoirs d’enquête de la Commission européenne étendus
La future Digital Markets Act prévoit des amendes pouvant aller jusqu’à 10% du chiffre d’affaires annuel mondial total de l’entreprise, prononcées par la Commission européenne.
Par ailleurs, les entreprises qui refusent de communiquer des informations requises ou qui soumettent des informations incorrectes, incomplètes ou trompeuses pourront se voir infliger une amende à hauteur de maximum 1% de leur chiffre d’affaires annuel mondial total. Cette sanction est également prévue en cas de refus d’accès à leurs bases de données et algorithmes.
Si l’objectif est de permettre aux utilisateurs de disposer d’un large choix de produits et services en ligne, et aux entreprises de pouvoir se livrer à une concurrence en ligne qui soit la plus libre mais aussi la plus loyale, se pose néanmoins la question de la sécurité juridique pour les opérateurs du marché qui doivent faire face à la multiplication des normes qui leur seront applicables, ainsi que celle de la pertinence de définition de comportements considérés comme problématiques per se dans un monde digital en mutation permanente.
Cette chronique est proposée par le Club des juristes.
Par Natasha Tardif, Managing Partner de Reed Smith Paris, Partenaire du Club des Juristes.