Favoriser le dialogue entre les émetteurs et leurs actionnaires
Si la relation avec l’actionnaire entre traditionnellement dans les prérogatives de l’exécutif, il est acquis que le conseil doit être impliqué dans la relation avec l’investisseur. Les limites de la documentation normée ont en effet suscité l’émergence d’un dialogue pédagogique et révélé l’intérêt d’une plus grande implication des administrateurs. Alors qu’au Royaume-Uni et en Allemagne, les codes de gouvernement d’entreprise établissent les grandes lignes du principe du dialogue et que la SEC (autorité américaine des marchés financiers) reconnaît la pratique d’une selective disclosure, à ce jour le dialogue entre le conseil et les actionnaires n’est pas appréhendé par la législation française et ne fait l’objet d’aucune doctrine de l’AMF ou du Code Afep-MEDEF en dehors des assemblées générales.
Face aux incertitudes juridiques régulièrement mises en avant (collégialité du conseil, hiérarchie des organes sociaux, égalité des actionnaires…), le Club des juristes, qui avait déjà partagé ses réflexions et recommandations sur le renforcement du dialogue entre la société et ses actionnaires en avril 2010, a décidé de créer une Commission sur « Le dialogue entre administrateurs et actionnaires». Dans son rapport d’octobre 2017, le Haut Comité de Gouvernement d’Entreprise s’était d’ailleurs emparé du sujet. Les travaux de cette Commission ont en particulier consisté à dresser, sur la base d’auditions et de consultations, un état de la pratique existante qui révèle qu’en dépit de l’absence de cadre normatif, le dialogue administrateurs-actionnaires constitue déjà une réalité concrète protéiforme et variable en fonction de l’actionnariat des émetteurs. Il en ressort que ce dialogue est souhaité tant par les actionnaires, à qui il permet de s’assurer du bon fonctionnement du conseil et de son alignement sur la stratégie, que par les émetteurs, à qui il permet de connaître davantage les attentes des actionnaires et de gérer en amont les difficultés susceptibles d’engendrer des crises.
Le Rapport de la Commission « Dialogue Administrateurs-Actionnaires » paru en décembre 2017 identifie les acteurs et le format du dialogue pratiqué au sein des différents émetteurs. Les auditions réalisées par la Commission ont fait apparaître une réelle divergence dans l’appréhension et la pratique du dialogue selon qu’il est conduit avec des investisseurs de court terme ou de long terme. Au cours des auditions, les réticences à engager un dialogue avec des fonds activistes ont également été évoquées. Les auditions ont également l’importance de la question du contenu du dialogue, les participants ayant largement indiqué qu’il devait porter en premier lieu sur la gouvernance, au service de la stratégie.
Ces échanges ont permis à la Commission de relever les obstacles pratiques au dialogue, tenant en particulier aux ressources des intervenants et à l’intermédiation des agences de conseil en vote, mais aussi les principales attentes des parties intéressées. Les auditions ont ainsi abouti à un point d’accord selon lequel une intervention législative aux fins d’encadrer ce dialogue serait inopportune. Le souhait a été exprimé que l’AMF prenne position sur le sujet pour rassurer les émetteurs qui le pratiquent et il a été suggéré que le Code Afep-MEDEF, qui reconnaît déjà la possibilité de nommer un administrateur référent, intègre la possibilité d’un dialogue entre les administrateurs et les actionnaires.
Relevant que la directive n°2017/828 dite « Droit des actionnaires » constitue un élément de contexte favorable au dialogue en ce qu’elle s’oriente vers l’affirmation d’obligations réciproques en renforçant l’engagement de l’actionnaire, la Commission a, sur la base des travaux conduits sur le sujet, formulé plusieurs recommandations. Elle appelle l’Afep et le MEDEF à engager une réflexion en vue d’intégrer dans leur Code de gouvernance d’entreprise la thématique du dialogue administrateurs- actionnaires et recommande symétriquement que l’AFG engage une réflexion en vue d’intégrer ce dialogue dans ses recommandations. Plus généralement, dans le cadre des réflexions en cours sur le partage de valeur et l’engagement sociétal de l’entreprise, elle recommande que le rôle positif des actionnaires ne soit pas sous-estimé, le dialogue sur les problématiques extra-financières constituant l’un des meilleurs vecteurs de prise en compte des défis environnementaux et sociaux auxquels sont confrontées les entreprises.
Par Benjamin Kanovitch, avocat associé, Cabinet Bredin Prat, expert du Club des juristes
et Bertrand Fages, arofesseur de droit, Ecole de Droit de la Sorbonne et président la Commission « Dialogue administrateurs-actionnaires » du Club des juristes