A-t-on raison de parler de « piraterie aérienne »? De “terrorisme d’État”? D’un « Etat voyou »? Voici ce que dit le droit international.
Le 23 mai, les autorités biélorusses ont contraint à l’atterrissage un avion de ligne, reliant Athènes à Vilnius, sur lequel voyageait le journaliste Roman Protassevitch, regardé par le régime de Loukachenko comme un opposant, arrêté à sa descente de l’avion à Minsk. Cette opération a provoqué l’indignation –quasi– unanime de la communauté internationale. Au-delà des réactions politiques, que dit
réellement le droit international de l’aviation?
Alors que l’Union Européenne annonçait lundi de nouvelles sanctions contre la Biélorussie, déjà sous le coup de plusieurs mesures adoptées contre les dirigeants du régime, les pays occidentaux ont unanimement condamné cette opération menée par un proche allié de la Russie. Au-delà de l’indignation de la France ou encore des États-Unis, certains États européens vont plus loin et dénoncent l’illicéité d’une telle action. Dublin la qualifie d’acte de “piraterie aérienne”, quand Varsovie n’hésite pas à parler de “terrorisme d’État”.
Le courroux des pays européens face à l’arrestation et la détention du journaliste et opposant Roman Protassevitch est à la mesure de l’inquiétude immense suscitée par la facilité avec laquelle un régime autoritaire a, sans complexe, détourné un avion de ligne survolant son territoire.
Minsk a tenté de justifier l’incident par la réception d’un email, signé du Hamas, affirmant la présence d’une bombe à bord de l’appareil, mais sans convaincre, puisqu’il semble à l’heure de ces lignes, selon le magazine Newlines, que ce message a été adressé une vingtaine de minutes après l’interception du vol.
Mais alors, que risque la Biélorussie si l’enquête conclut à l’illicéité de son intervention? Pas grand-chose. C’est souvent le cas en matière de droit international.
L’Union européenne et l’OTAN ont immédiatement réclamé qu’une enquête soit diligentée par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), afin d’éclaircir les circonstances de l’incident, et déterminer si l’interception décidée par les autorités biélorusses était conforme au droit international, notamment à la Convention de Chicago, à laquelle la Biélorussie est partie depuis 1993.
Cette Convention consacre la “souveraineté complète et exclusive” des États contractants sur leur espace aérien. En vertu de ce principe, un État est ainsi “en droit d’exiger l‘atterrissage, à un aéroport désigné, d’un aéronef civil”. Chaque État est donc souverain dans son espace aérien, comme il l’est sur son sol et dans ses eaux territoriales. A la lumière de l’histoire récente et du spectre terroriste, il est sans nul doute heureux qu’un gouvernement puisse agir immédiatement face à une menace avérée, sans attendre l’autorisation de quiconque.
Dans l’objectif d’assurer la sécurité des airs et d’un trafic aérien dont il est constaté qu’il est toujours plus dense, la Convention de Chicago pose cependant des limites au pouvoir étatique. L’interception d’un aéronef civil n’est licite que dans deux hypothèses: soit l’appareil ne dispose pas d’une autorisation de survol du territoire, soit il existe des raisons plausibles de craindre qu’il a été détourné de sa fonction de transport civil, par les intentions malveillantes de ceux qui se trouvent aux commandes ou, par exemple, par la pose d’une bombe à l’insu du personnel de bord.
L’enquête de l’OACI permettra de confirmer si les autorités biélorusses se trouvaient dans l’une de ces deux hypothèses, ou si –ce qui est à envisager, au regard des justifications peu convaincantes de Minsk– il s’agissait d’un simple prétexte pour interpeller le journaliste d’opposition Roman Protassevitch.
Mais alors, que risque la Biélorussie si l’enquête conclut à l’illicéité de son intervention? Pas grand-chose. Comme c’est souvent le cas en matière de droit international, la signature de la Convention de Chicago procède avant tout d’un engagement moral, dont la violation affaiblira l’État concerné sur la scène internationale, mais ne l’exposera à aucune sanction dissuasive.
Le résultat de l’enquête importe donc peu aux États occidentaux, en particulier à l’Union européenne, qui par la voix de son Conseil, organe politique par essence, a d’ores et déjà interdit aux avions de la compagnie nationale biélorusse le survol du territoire européen.
Face à un droit international dénué de tout effet dissuasif, la sanction est donc d’abord politique.
Certains dirigeants européens ont poussé la disgrâce jusqu’à qualifier l’opération biélorusse de “piraterie”, et même de “terrorisme d’État”.
Le droit a cela de constant qu’il est rarement –jamais?– accommodant, particulièrement lorsqu’il s’agit d’user de notions qui laissent dans leur sillage le spectre abominable du terrorisme ou de la piraterie.
Aussi critiquable, peut-être même illégale nous dira bientôt l’OACI, soit-elle, l’opération biélorusse ne saurait constituer ni un acte de piraterie, ni un acte de terrorisme.
Chacun sait qu’à notre époque, le terme de piraterie s’applique autant aux vaisseaux du ciel qu’à ceux des mers, et la notion juridique trouverait bien à s’appliquer à des actes malveillants commis par des individus, groupes ou organisations, contre un aéronef ou ses passagers. Mais la notion exclut toute décision prise en vertu de ses pouvoirs régaliens au nom de l’État. Les agents biélorusses ayant intercepté le vol Athènes-Vilnius étaient donc plus corsaires que pirates.
Il n’existe pas plus de piraterie d’État que de terrorisme d’État.
Sur le plan juridique, du moins. A défaut pour la communauté internationale d’être parvenue, pour le moment, à une définition commune et unanime. Il est en toute hypothèse acquis que celle-ci, si elle est un jour adoptée, exclura de son champ d’application tout acte décidé et mis en œuvre par un État ou ses représentants officiels.
Sur le plan politique, il existe cependant des états voyous, mais ce vocable qui frappe le bon sens n’a rien de juridique, alors même qu’il trouve désormais à s’appliquer sans ambiguïté à la Biélorussie.
Une telle accusation a néanmoins le mérite de permettre que soient dénoncées, par l’invocation d’un crime aussi odieux que mal appréhendé, la politique de terreur menée par certains États contre les voix indépendantes qui peuvent trouver à s’exprimer sur leur sol, et en définitive, la répression voulu par certains chefs d’État contre leur propre population.
Sur le plan politique, il existe cependant des états voyous, mais ce vocable qui frappe le bon sens n’a rien de juridique, alors même qu’il trouve désormais à s’appliquer sans ambiguïté à la Biélorussie.
Le peuple biélorusse est sans conteste à compter parmi ceux placés sous le joug d’une dictature, qui réprime, souvent dans le sang, les contestations qui s’y expriment, et dont le despote, en place depuis bientôt 27 ans, n’entend laisser aucun répit à ses opposants, quitte à détourner un vol commercial au nez et à la barbe de la communauté internationale, qui se fera sans doute un devoir de ne pas laisser un tel précédent se dérouler sans la plus vive des réactions.
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