Les excès de la régulation concurrentielle
Les droits de la régulation et de la concurrence concourent tous deux au développement de la concurrence sur le marché, mais leurs domaines respectifs d’intervention diffèrent pour partie.
Le droit de la régulation permet à la puissance publique d’intervenir directement ou indirectement lorsque le marché ne parvient pas à s’autoréguler par le seul jeu concurrentiel. S’insérant pleinement dans une conception libérale de l’économie (M.-A. Frison-Roche, Regulation versus Competition : The Journal of Regulation, n° 7, 2011, I-1-30), il assure ainsi une mission transitoire et a vocation, après avoir rempli son office, à s’éteindre.
Le droit de la concurrence vise quant à lui à garantir les objectifs d’intérêt général propres au fonctionnement du marché, tels que la protection du consommateur.
Il agit à cet effet préventivement, au travers du contrôle des concentrations ou de l’édiction de textes non normatifs, tels que des avis ayant vocation à encadrer le comportement des entreprises. L’Autorité de la concurrence exerce à ce titre un contrôle ex ante, lui permettant de « construire » et donc de réguler le marché.
Il sanctionne également les atteintes portées à la concurrence par des comportements fautifs, incriminés comme tels, afin de rétablir les conditions d’une concurrence satisfaisante. Ce contrôle ex post permet à l’Autorité de « réparer » le marché, par le biais du contrôle des pratiques anticoncurrentielles et du pouvoir d’injonction structurelle résultant des articles L. 430-9 et L. 752-26 du Code de commerce, applicables en cas d’exploitation abusive d’une position dominante ou d’un état de dépendance économique.
C’est ainsi dans le respect de cet équilibre fondamental que s’inscrivaient jusqu’à présent les pouvoirs accordés à l’Autorité de la concurrence.
Cet équilibre s’apprête toutefois à être rompu par le Projet de loi pour la croissance et l’activité, dit Projet de loi Macron, qui prévoit à son article 11 d’octroyer à l’Autorité un pouvoir d’injonction structurelle en l’absence de tout comportement répréhensible.
Celui-ci lui permettra d’exiger qu’une entreprise en position dominante sur le marché du commerce de détail en métropole procède à la cession d’actifs, en raison de simples préoccupations de concurrence du fait de prix et de marges anormalement élevés, et ce alors même qu’aucun abus n’aura été constaté.
Certes l’Autorité dispose déjà d’un pouvoir similaire, mais celui-ci était jusqu’à présent applicable uniquement dans les départements et les régions d’Outre-mer « eu égard aux contraintes particulières de ces territoires découlant notamment de leurs caractéristiques géographiques et économiques », selon les termes de l’article L. 752-27 du Code de commerce.
En métropole au contraire, le droit de la concurrence permet déjà d’assurer le fonctionnement normal et équilibré de ce secteur, fortement concurrentiel et beaucoup moins concentré que les marchés ultramarins. À cet égard, le marché de la distribution alimentaire en France présente un des taux de concentration les plus faibles d’Europe.
Rien ne justifie alors que l’Autorité dispose d’un pouvoir d’intervention sur la structure du marché en l’absence de toute faute de l’entreprise, sauf à vouloir le retour d’une forme d’économie administrée.
L’injonction structurelle en passe d’être adoptée constitue donc un outil sans précédent, irrespectueux des mécanismes concurrentiels et qui, selon la commission dirigée par l’ancienne vice-présidente de l’Autorité Anne Perrot, « déroge largement à la philosophie du droit de la concurrence ».
S’il est de la responsabilité du législateur de garantir l’intensité de la concurrence dans l’intérêt du consommateur, il lui incombe aussi de ne pas sacrifier l’équilibre des différentes composantes de l’ordre public économique.
Or si le Projet de loi Macron traduit la volonté du législateur d’ouvrir davantage le marché à la concurrence, l’injonction structurelle sert une mission de régulation et de police des prix qui n’est pas justifiée et qui s’affranchit des principes traditionnels garants de notre démocratie.
La rupture de l’équilibre entre droit de la régulation et droit de la concurrence est patente, et il est fort regrettable que la France s’inscrive dans cette voie dangereuse.