L’escalade entre l’Iran et les Etats-Unis au début du mois prouve qu’une réflexion sur le danger des sanctions extraterritoriales est indispensable.
Entre les accords de Vienne en juillet 2015 et les affrontements armés de janvier 2020 entre les Etats-Unis et l’Iran, que s’est-il passé ?
En juillet 2015, à Vienne, les cinq membres du Conseil de sécurité de l’ONU, l’Allemagne et l’Union Européenne avaient trouvé un accord avec l’Iran pour garantir une utilisation exclusivement pacifique du programme militaire iranien. En échange des engagements de l’Iran sur une utilisation purement civile de son programme nucléaire, les autres pays signataires s’engageaient à geler les sanctions économiques qui s’imposaient à l’Iran.
Pourtant moins de trois ans plus tard, les Etats-Unis sont sortis de l’accord et ont rétabli progressivement les sanctions extraterritoriales secondaires, amenant la quasi-totalité des entreprises européennes à interrompre leurs activités avec l’Iran. De son côté, l’Iran a pu, à juste titre, considérer que ces pays signataires autres que les USA ne respectaient pas leurs engagements. L’Iran a abandonné progressivement un certain nombre de ses obligations, et menace de toutes les abandonner à terme.
Aujourd’hui l’Iran et les USA sont en situation d’affrontement armé même si une certaine retenue est de mise, de part et d’autre, après l’embrasement de début janvier. Nous pouvons tirer quelques réflexions sur le danger de l’utilisation des sanctions extraterritoriales.
Une négation de la souveraineté des Etats
Cette pratique qui semble être l’arme diplomatique privilégiée du gouvernement américain est parfaitement contradictoire avec une vision multilatérale aussi bien des relations économiques internationales que politiques.
L’utilisation des sanctions extraterritoriales permet à un seul pays d’enrôler de force ses partenaires économiques dans des choix géostratégiques. Tous les pays dont les entreprises veulent continuer à avoir des relations avec les Etats-Unis doivent se soumettre aux choix politiques américains.
Nous sommes vraiment dans une négation de la souveraineté des autres Etats. Il est d’ailleurs surprenant que cette réalité n’ait pas plus de place dans le débat politique national français et européen.
L’autre élément à souligner est l’utilisation du monde des entreprises à des fins politiques. On est dans un des paradoxes de la globalisation.
Celle-ci devait affranchir les entreprises transnationales de la pression des états. Avec l’utilisation des sanctions extraterritoriales, un seul état peut prendre en otage toute entreprise globalisée.
Le nécessaire multilatéralisme
Au travers de l’exemple iranien, le système des sanctions extraterritoriales est une menace pour le respect d’un ordre international fondé sur l’existence d’autorités de régulation, type OMC. C’est le moment de souligner l’importance qu’a eue en 50 ans ce multilatéralisme pour développer le commerce mondial, la croissance des pays émergents et l’apaisement des tensions internationales grâce aux échanges économiques, humains et culturels.
Avec ce régime des sanctions, nous en revenons au jeu classique des puissances qui tentent d’imposer de manière unilatérale un ordre économique. Avec les sanctions extraterritoriales secondaires, une seule puissance impose aux autres ses choix géostratégiques.
Ce leadership imposé n’est pas sans risque pour la paix. Il bloque la capacité des Etats à rechercher, dans une vision multipolaire, un équilibre économique et donc politique entre les nations.
Ce qui se passe autour de l’Iran , pourrait se produire demain autour d’une autre puissance et, multiplier ainsi les risques d’embrasement et de violence.
Cette chronique vous est proposée par Dominique Perben, avocat associé chez Betto Perben Pradel Filhol, partenaire du Club des juristes et ancien garde des Sceaux.