Une double actualité involontaire génératrice d’incertitudes
L’assimilation à la violence de l’abus de l’état de dépendance constitue l’une des innovations remarquées de l’ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016).
La rédaction finalement adoptée pour le futur nouvel article 1143 du Code civil ne mentionne pas le terme « économique » et les auteurs du rapport au Président de la République ont souligné que le texte ne limitait pas ce nouveau vice du consentement aux situations de dépendance économique. Cela étant dit, ce même rapport rappelle que cette innovation est directement liée à la doctrine et à la jurisprudence développées autour de la notion de « violence économique ». Et si les juges qui seront chargés de mettre en œuvre le nouveau texte reconnaitront peut être de nouvelles formes d’état de dépendance, il ne fait guère de doute que c’est principalement autour de la notion de « dépendance économique » que devraient s’articuler les actions fondées sur l’article 1143 du Code civil.
Or précisément, l’entrée en vigueur des dispositions issues de la réforme du droit des contrats pourrait se télescoper avec une autre proposition de loi relative à la notion de dépendance économique. L’articulation de ces deux modifications législatives n’est probablement pas voulue par leurs promoteurs respectifs, mais même si cette situation résulte uniquement d’un hasard du calendrier législatif, il est difficile de considérer l’une sans l’autre.
La Commission des affaires économiques de l’Assemblée Nationale a adopté le 6 avril 2016 une proposition de loi visant à « assouplir la définition législative de la situation de dépendance économique ». Cette proposition, adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 28 avril dernier, concerne le champ d’application classique de la dépendance économique qui est celui de la sanction des pratiques anti-concurrentielles.
En la matière, la pratique décisionnelle de l’Autorité de la concurrence et la jurisprudence ont progressivement établi des conditions strictes à la caractérisation de l’état de dépendance économique, qui sont telles que cet état n’est que rarement retenu en pratique. Or la Commission, suivant en cela un avis formulé par l’Autorité de la concurrence, regrette cette rigidité qui ne serait pas adaptée dans un contexte de rapprochement des centrales d’achat et de référencement des enseignes de la grande distribution. Afin de sanctionner plus efficacement les abus des situations de dépendance, la proposition de loi envisage donc d’introduire une appréciation plus souple des critères de qualification : il y aurait situation de dépendance économique dès lors (i) que la rupture des relations commerciales risqueraient de compromettre le maintien de l’activité du fournisseur et (ii) que celui-ci ne disposerait pas d’une solution de remplacement susceptible d’être mise en œuvre dans un délai raisonnable.
Cette extension de la prohibition est critiquée par les fournisseurs les plus fragiles, censés être protégés par la proposition, car cela risque de conduire les distributeurs à les écarter des négociations. D’autres ajoutent que traiter un problème éventuel, propre à un secteur d’activité, par un texte d’application générale est inadapté et potentiellement générateur d’autres difficultés.
A supposer que ces réserves n’empêchent pas l’adoption définitive de la proposition, les juges des contrats qui auraient à se prononcer sur un prétendu vice du consentement lié à un abus de dépendance, ne feraient probablement pas abstraction de la définition retenue en matière de sanction des pratiques anti-concurrentielles, et ce d’autant plus que les critères figureraient désormais dans le Code de commerce. L’élargissement de la définition de dépendance économique ne serait donc pas seulement appelé à avoir des conséquences dans le secteur de la grande distribution, ni même uniquement en droit de la concurrence, mais bien au-delà.
Toute évolution génératrice d’une insécurité juridique en la matière, justifiée par une situation très particulière à un secteur d’activité et peut être ponctuelle, apparait donc particulièrement mal venue, dans un contexte dans lequel les opérateurs économiques doivent déjà s’adapter à un nouveau corpus juridique du droit commun des contrats.