Lutte contre la corruption : les tribulations du projet de loi « Sapin 2 ».
Le chemin vers l’instauration d’un système complet et fonctionnel de prévention et de lutte contre la corruption, notamment transnationale, s’avère bien long et pavé d’embûches, alors même qu’aucune condamnation pénale définitive n’est intervenue depuis la loi de 2000 incriminant la corruption active d’agent public étranger.
Dans son avis du 24 mars 2016, le Conseil d’Etat a rejeté la procédure de transaction pénale créée par le projet initial (plus exactement la « convention de compensation d’intérêt public »), en réservant toutefois sa possibilité pour la seule corruption internationale.
C’est donc une version sensiblement différente qui a été déposée à l’Assemblée nationale le 30 mars dernier, complétée, notamment, par un amendement parlementaire rétablissant ladite procédure de transaction pour la corruption et les délits assimilés.
Ce texte modifié sera examiné par Commission mixte paritaire en septembre.
Trois apports – en l’état – de ce projet de loi seront évoqués dans ce bref commentaire d’étape.
Le premier tient à la création d’un service désormais dénommé « Agence de prévention de la corruption ». Il est prévu que les sociétés de plus de 500 salariés et dont le chiffre d’affaires est supérieur à 100 millions d’euros seront soumises à l’obligation de mettre en place des mesures de prévention de la corruption. Le non-respect d’un avertissement délivré par l’Agence pourra conduire le président de celle-ci à saisir le « président du tribunal statuant en référé » aux fins « d’enjoindre sous astreinte à la société d’améliorer ces mesures ». Plutôt que de conserver la version du texte prévoyait l’intervention d’une « commission des sanctions » pouvant prononcer des injonctions et, in fine, des sanctions pécuniaires, le Sénat a préféré un référé-injonction manifestement inspiré de la procédure commerciale, accompagné le cas échéant d’une « communication » au ministère public.
Le deuxième est relatif à la teneur des obligations minimales imposées aux sociétés relevant du régime de prévention. Demeurent du projet d’origine l’obligation d’adopter un « code de conduite » interne, un « dispositif d’alerte » également interne, une « cartographie des risques », des « procédures de contrôle comptable » et un « dispositif de formation ». Ont en revanche disparu les « procédures d’évaluation » des clients, fournisseurs et intermédiaires et un régime de sanction disciplinaire interne, pour l’heure remplacé par un « dispositif de contrôle et d’évaluation interne ».
Le dernier – et principal – apport a trait à la réintroduction par l’Assemblée de la « transaction judiciaire », dernier avatar de la transaction pénale sans reconnaissance de culpabilité. Aux termes du projet actuel, le Procureur de la République pourrait proposer à une personne morale, sans préjudice de la responsabilité pénale des personnes physiques, « une ou plusieurs » des deux obligations suivantes : le paiement d’une amende de transaction plafonnée à 30% du chiffre d’affaires moyen annuel, et/ou la soumission pour une durée maximale de trois ans à un « programme de mise en conformité ». Cette proposition, si elle est acceptée, devra être « validée » par le Président du Tribunal de grande instance en audience publique, les victimes éventuelles des infractions concernées pouvant revendiquer une indemnisation. Cette pratique transactionnelle proposerait un moyen efficace et pragmatique de réprimer la corruption en incitant à la coopération active les sociétés poursuivies, en vue d’obtenir une sanction plus clémente ; elle répondrait par ailleurs à l’attente des entreprises, en offrant une alternative à la culpabilité pénale (qui entraîne notamment l’interdiction de soumissionner à certains marchés publics) tout en leur faisant encourir de très lourdes amendes. Sa rapidité de mise en œuvre pourrait permettre d’éviter que des juridictions étrangères, et notamment américaines, ne se saisissent des mêmes faits. Le ministère public devrait à cette fin discuter avec les autorités étrangères lorsqu’il est le mieux à même d’exercer les poursuites, comme le prévoit la convention OCDE de lutte contre la corruption.
Didier Martin, Avocat à la Cour, membre du Club des juristes
Et Guillaume Pellegrin, Avocat à la Cour