Que valent les traités internationaux ? Lorsqu’un particulier signe un contrat, il prend des risques à ne pas s’exécuter. Mais peut-on contraindre un Etat à respecter ses engagements ?
Il n’est pas inutile de se poser cette question à la veille de la COP 21, alors que les Etats se mobilisent pour trouver un accord climatique.
« Aux armes du droit, citoyens ! » : telle est la réponse suggérée, en substance, par le rapport « Renforcer l’efficacité du droit international de l’environnement ».
Ce rapport est le fruit des travaux de la Commission Environnement du Club des juristes, que j’ai le plaisir de coordonner. Celle-ci réunit des universitaires, juges et avocats, dont on peut dire, sans exagération, qu’ils comptent parmi les meilleurs spécialistes du droit de l’environnement en France.
Le constat est clair : faute de mécanismes de contrôle et de sanction efficace, les Etats peuvent délibérément choisir de ne pas respecter les traités qu’ils ont signés.
Exemple : en 2011, le Canada réalise qu’il ne sera pas en mesure d’atteindre les objectifs qui résultent du protocole de Kyoto. Au lieu de réduire de 28 % ses émissions de gaz à effet de serre, il affiche une augmentation de 6 %. Aucune inquiétude…. Pour échapper aux sanctions, ce pays met alors en œuvre une solution très simple : il décide unilatéralement de sortir du protocole de Kyoto !
Car le droit international repose sur un principe fondamental : la souveraineté des Etats. Ce principe, s’il est conçu d’une manière trop absolue, constitue un obstacle aux progrès du droit international de l’environnement. Il est la source de deux séries de difficultés.
La première difficulté touche à la négociation des traités : un Etat n’est soumis au droit international que s’il choisit, souverainement, d’adhérer à un traité. C’est la grande différence avec un particulier, à qui on ne demande pas son accord pour lui imposer des législations…
C’est ainsi que les États-Unis n’ont ratifié ni la Convention sur la diversité biologique de Rio de 1992, ni le protocole de Kyoto de 1997. Cette résistance de certains Etats est dommageable : la crise écologique appelle une mobilisation universelle, de l’ensemble des pays concernés. Pour lutter contre le réchauffement climatique ou contre l’extinction des espèces, c’est évidemment à l’échelle mondiale que les normes juridiques doivent être adoptées.
C’est pourquoi le rôle des citoyens est essentiel. Dès de la phase de la négociation des traités, ils doivent faire pression sur les dirigeants politiques pour que ceux-ci signent puis ratifient des accords internationaux ambitieux. Le rapport de la Commission Environnement propose d’instituer un droit d’initiative citoyenne à l’échelle mondiale. Il vise aussi à consacrer la place de la société civile dans les négociations internationales. Le principe de participation du public, qui existe déjà pour l’élaboration des règles nationales, doit être consacré pour la négociation des normes internationales.
Les acteurs non étatiques (ONG, entreprises, collectivités territoriales) jouent un rôle majeur, qui doit être mieux reconnu par le droit. L’adoption des traités environnementaux ne doit pas être laissée entre les mains des seuls diplomates. Les citoyens ont leur mot à dire. Nous devons créer les instruments de la démocratie participative au niveau international. Il appartiendra alors à la société civile de s’en emparer.
La seconde difficulté concerne l’application des traités : les mécanismes de contrôle et de sanction sont peu efficaces. La justice internationale est facultative. Ainsi plusieurs Etats, dont la France et les États-Unis, ont choisi de ne pas reconnaître la compétence permanente de la Cour internationale de justice : ils le font seulement au cas par cas, pour un litige déterminé. Le rapport invite la France à accepter de se soumettre à cette juridiction, comme le font la plupart des grands pays européens, de l’Allemagne à l’Italie, en passant par le Royaume Uni. Il propose en outre de donner aux ONG un droit d’intervention devant la Cour internationale de justice, afin de présenter leurs observations.
Pour garantir le respect, par les Etats, de leurs engagements internationaux, les citoyens doivent pouvoir saisir le juge en cas de manquement. La société civile joue un rôle de veille essentiel. Un bel exemple en est donné par un jugement récent d’un tribunal de la Haye. Le 29 juin 2015, saisi par 900 citoyens regroupés dans une ONG, il a ordonné à l’État néerlandais de réduire ses émissions de gaz à effet de serre à fin de respecter ses engagements internationaux.
Enfin, le rapport formule une ultime proposition ambitieuse : le moment paraît venu d’adopter une « Charte universelle de l’environnement ». Il s’agit d’inscrire, dans le marbre du droit international, les grands principes fondateurs, dont le droit de chaque personne à un environnement sain. Ce droit de l’homme est fondamental : c’est de lui que tout découle. Il en résulte le droit des citoyens de saisir la justice pour contraindre les Etats à respecter leurs engagements internationaux. Il en résulte également une série de droits dérivés, comme le droit à l’information ou à la participation du public, qui devraient figurer dans la Charte.
Cette nouvelle génération de droits de l’homme doit être garantie dans un traité ayant une force contraignante pour l’ensemble des Etats. Aujourd’hui les seuls textes existants, sur le plan international, sont de simples déclarations, comme la « Déclaration de Rio », sans portée juridique. Ils ne peuvent pas être invoqués devant un juge.
Il y a bientôt 50 ans, en 1966, deux « Pactes internationaux » étaient conclus dans le cadre de l’ONU, pour consacrer, d’une part, les droits civils et politiques et, d’autre part, les droits économiques, sociaux et culturels.
Ce diptyque doit aujourd’hui être complété par une Charte universelle de l’environnement, afin que ce texte rappelle sans cesse aux citoyens comme aux Etats leurs droits et leurs devoirs pour protéger la planète.