La Convention judiciaire d’intérêt public en matière de corruption internationale : des conditions de mise en œuvre en clair-obscur
Introduite dans notre droit en 2016 pour permettre le règlement transactionnel notamment des affaires de corruption internationale, à l’instar des mécanismes de droits anglo-saxons, la CJIP constitue un instrument judiciaire permettant aux personnes morales d’accepter une sanction d’intérêt public sans que soit reconnue, à leur endroit, une culpabilité pénale. Nonobstant le caractère novateur de la CJIP, la loi ne l’a pas définie autrement que par des considérations techniques et minimalistes, et les commentaires de la circulaire y afférente (DACG du 31 janvier 2018) ne comblent aucunement ces lacunes originelles.
Autrement dit, les questions de savoir non seulement dans quelles circonstances mettre en œuvre (ou non) une CJIP, mais également suivant quelles modalités pratiques, restaient pour une large part à défricher : c’est manifestement ce qui a conduit le PNF, en charge notamment de la poursuite des principales affaires de corruption internationale, et l’AFA, agence nouvellement créée pour veiller au respect de la conformité des procédures anti-corruption, à vouloir fixer une « doctrine conjointe » en la matière.
Interprétation subjective assumée – leurs signataires considèrent qu’elles les engagent- ces lignes directrices ont le mérite de préciser des points importants qui montrent toutefois que la CJIP n’est pas une voie facile et sans écueil.
Tout d’abord, l’ouverture d’une négociation en vue d’une CJIP n’est en rien un droit acquis et suppose, comme condition préalable de la part de la personne morale concernée, une pleine coopération à l’enquête et la mise en œuvre d’investigations internes. Le PNF semble ainsi considérer que la CJIP est un régime de faveur qui ne saurait être réduit à un accord neutre qui acterait simplement, en contrepartie de l’abandon des poursuites, le paiement d’une amende d’intérêt public et éventuellement la mise en place d’un programme de conformité. La résipiscence est donc une condition implicite mais nécessaire, là où elle doit être explicite dans une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.
Ensuite, la négociation d’une CJIP est un aller sans retour. Les lignes directrices indiquent en effet clairement que le parquet considère, dans le silence de la loi, pouvoir faire usage des documents et informations transmis antérieurement à la formalisation d’une proposition de CJIP, quelle que soit son issue. Si la négociation d’une CJIP échoue, le parquet pourra ainsi utiliser contre la personne morale tout ce que cette dernière lui aura révélé spontanément en vue de négocier une CJIP.
Au-delà de ces clarifications, deux difficultés majeures liées au caractère novateur de la CJIP demeurent en revanche irrésolues à la lecture des lignes directrices, lesquelles soulèvent même de véritables questions de principe.
La première concerne l’enquête interne que le parquet attend de la personne morale candidate à une CJIP. Cette enquête a vocation à contribuer à la manifestation de la vérité en identifiant des faits et des dysfonctionnements. Pour autant, les conditions dans lesquelles ces investigations à finalité probatoire sont réalisées – notamment d’éventuelles auditions – échappent à tout cadre formalisé : c’est en quelque sorte une enquête privée à finalité pénale qui est réalisée à la demande du parquet et en vue d’un usage qu’il sera libre de déterminer. On distingue immédiatement les risques et les dangers qui peuvent en résulter.
La seconde difficulté persistante est celle du traitement des personnes physiques concernées lorsqu’une CJIP est négociée par la personne morale qui, seule, peut bénéficier de cet outil transactionnel. On sait que la situation est nécessairement différente suivant que les dirigeants en place au moment des faits sont – ou non – encore en fonction. À cet égard, les lignes directrices restent silencieuses, se contentant de rappeler la liberté d’appréciation du PNF en la matière.
Au-delà de ces interrogations persistantes, l’existence même de ces lignes directrices ne va pas sans soulever de nouvelles questions : dans la mesure où la CJIP est applicable également à d’autres délits – blanchiment de fraude fiscale et, depuis la loi du 23 octobre 2018, fraude fiscale elle-même – d’autres lignes directrices spécifiques à ces délits ont-elles vocation à être adoptées, et si oui par qui ?
En réalité, c’est tout un corpus doctrinal, global et cohérent, qui manque encore à la CJIP. Il est urgent de s’y atteler.
Bruno Quentin, avocat associé Gide Loyrette Nouel, expert du Club des juristes