Deux ans après leur création : bilan et perspectives dans un contexte remanié
Par Jean-Sébastien Bazille, avocat, Gide, partenaire du Club des juristes
Le 7 février 2018 étaient signés deux protocoles entre le barreau de Paris et, respectivement, le Tribunal de commerce et la Cour d’appel de Paris, instituant officiellement les chambres commerciales internationales de Paris.
L’objectif était de renforcer l’attractivité de la place de Paris dans un contexte de concurrence internationale entre juridictions, exacerbé en Europe par le Brexit. Après avoir quitté l’Union Européenne, le Royaume-Uni sera en effet dans l’impossibilité de se prévaloir du mécanisme facilité de circulation des décisions de justice en vigueur au sein de l’espace judiciaire européen, ce qui pourrait inciter les acteurs du commerce international à délocaliser leurs contentieux.
La Chancellerie a alors confié au haut comité juridique de la place financière de Paris (HCJP) la tâche d’imaginer en un temps record des formations de jugement susceptibles d’attirer en France ces contentieux commerciaux internationaux. Ces travaux ont conduit quelques mois plus tard à l’institution des chambres commerciales internationales par voie de protocoles, et à droit constant, afin d’éviter le temps long du processus législatif. Inspirés de la procédure de common law et exploitant à plein les potentialités de notre procédure civile, ces protocoles offrent aux parties à un litige du commerce international la possibilité d’utiliser l’anglais à l’écrit comme à l’oral, la faculté de mieux maîtriser le temps du procès par la conclusion d’une convention de procédure, et ambitionnent une meilleure administration de la preuve par l’élargissement du périmètre de la production forcée de documents, la comparution personnelle des parties, et l’audition de témoins et experts.
Deux ans après la signature de ces protocoles, la jurisprudence de la chambre internationale de la Cour d’appel de Paris (la « CCIP-CA ») rassure par sa qualité indéniable sur le fond (en matière de droit international privé, et de recours en annulation de sentences arbitrales internationales qui relèvent de sa compétence depuis le début de l’année 2019), comme sur la forme (via un effort manifeste de clarté et de pédagogie dans la rédaction de ses arrêts). Elle interroge, en revanche, quant à l’attractivité de cette chambre.
Sur les vingt-neuf décisions rendues à ce jour par la CCIP-CA, les raffinements du protocole ne semblent en effet avoir été utilisés par les parties qu’à une seule occasion (pour l’audition du dirigeant de l’une des parties par la Cour). Cela s’explique cependant par le fait que sa saisine ne résultait pas dans ces affaires d’une clause lui attribuant compétence, qui aurait été stipulée par des parties désireuses de profiter de ses spécificités procédurales, mais des règles de compétence territoriale et matérielle à caractère objectif. Ce constat ne doit donc pas être perçu comme un échec, en ce qu’il résulte principalement du décalage temporel naturel entre la conclusion d’un contrat qui contiendrait une telle clause et l’éclosion d’un litige en découlant, outre que le Brexit n’est pas encore en vigueur.
Le développement de ces chambres pourrait cependant se trouver négativement impacté par au moins deux facteurs contextuels.
Tout d’abord, par l’éventuelle ratification par le Royaume-Uni de la convention de Lugano de 2007, que celui-ci a sollicitée le 8 avril 2020, mais qui nécessite l’accord de l’Union Européenne. Cette convention liant l’Union Européenne et les États membres de l’association européenne de libre échange (Islande, Norvège, Suisse et Danemark) offre un mécanisme facilité de circulation des décisions de justice similaire à celui en vigueur au sein de l’Union européenne (bien que légèrement moins abouti).
Par ailleurs, par un possible manque de moyens. Afin d’être véritablement attractives, les chambres internationales devront faire montre en pratique d’une excellente maîtrise de l’anglais et des droits étrangers, d’une utilisation efficace d’outils procéduraux d’administration de la preuve habituellement peu utilisés – en laissant notamment une large place à l’oralité –, ainsi que d’une grande efficience dans la gestion du temps du procès. Cela implique une formation poussée des magistrats la composant, un temps d’examen des dossiers et d’audience nécessairement allongé, ainsi que le déploiement de moyens techniques appropriés (visio-conférence, interprétariat, etc.). Autrement dit, l’attractivité de ces chambres au niveau international – et le développement subséquent de leur contentieux – requiert que des moyens humains et financiers conséquents leur soient alloués sur le long terme. La crise récente liée au Covid-19, qui a mis en lumière le manque criant de moyens de la Justice française au point de la contraindre à un arrêt quasi-total de près de deux mois, ne peut qu’interroger quant à sa capacité à réaliser ses ambitions internationales, voire quant à la pertinence de celles-ci dans le contexte actuel.