Quid de la reconnaissance en France des jugements rendus par les juridictions du Royaume-Uni ? Brexit
En application du Règlement Bruxelles I bis, les jugements rendus en matière civile et commerciale par les juridictions du Royaume-Uni font actuellement l’objet d’une reconnaissance automatique et bénéficient de plein droit de la force exécutoire dans les autres Etats membres de l’Union européenne, en application du principe de la confiance mutuelle entre les Etats membres. Le Brexit devrait emporter la fin de cette reconnaissance mutuelle en mettant fin à l’application du Règlement Bruxelles I bis à l’égard du Royaume-Uni. Brexit
En l’absence de tout cadre conventionnel international, la question de l’efficacité en France d’un jugement rendu par une juridiction du Royaume-Uni devrait alors se poser sous l’angle du droit international privé de l’Etat dans lequel on chercherait à faire produire des effets au jugement. Dans cette hypothèse, pour être en mesure de produire des effets sur le territoire français, le jugement rendu par une juridiction du Royaume-Uni devrait réussir le test de régularité internationale devant le for français dans le cadre d’une procédure d’exequatur[1]. Pour ce faire, le jugement devrait alors (1) être rendu par un juge dont la compétence serait considérée par le for français comme pertinente à l’égard du litige ; (2) être régulier à l’égard de l’ordre public international de fond et de procédure du for français ; et enfin (3) ne pas avoir été obtenu à l’étranger en fraude à la loi française. Il ne fait nul doute que pour la grande majorité des jugements rendus par des juridictions du Royaume-Uni ce test de régularité internationale ne devrait être qu’une formalité en raison de la proximité, si ce n’est de la similitude, de nos principes fondamentaux et de nos règles de compétence juridictionnelle. Il n’en demeure pas moins que le rétablissement d’une procédure d’exequatur dans les relations juridictionnelles franco-britanniques constituerait une cause de lourdeur et d’aléa juridictionnel, préjudiciable aux justiciables, et particulièrement contraire aux exigences de prévisibilité et de célérité de la vie des affaires.
Un auteur s’est donc posé la question de savoir si le Royaume-Uni pourrait, à la suite du Brexit, prétendre à l’application de la Convention de Bruxelles de 1968 – qui a constitué le cadre de la reconnaissance et de l’exécution réciproques des jugements en matière civile et commerciale entre les Etats membres jusqu’à l’adoption du Règlement dit Bruxelles I, puis Bruxelles I bis, et à laquelle le Royaume-Uni est partie – dans ses rapports avec les Etats membres de l’Union européenne et ainsi conserver un mécanisme de reconnaissance facilitée des décisions judiciaires[2]. Néanmoins, la pertinence d’une telle solution est discutable. Tout d’abord en ce que le champ d’application de la Convention de Bruxelles serait restreint. En effet, lorsque le Royaume-Uni devient partie contractante à la convention en 1968, le nombre des Etats membres à la Communauté européenne n’est pas représentatif du nombre des Etats membres de l’Union européenne en 2017, de sorte que l’application de ladite convention ne pourrait être demandée par le Royaume-Uni qu’à l’égard des Etats membres également signataires en 1968. Plus encore, l’application de la Convention de Bruxelles conduirait à appliquer un droit international privé européen obsolète. Le retour à la procédure d’exequatur, supprimée par le Règlement Bruxelles I bis, en est l’exemple le plus notable.
Il semble donc préférable de fixer un nouveau cadre de coopération judiciaire. L’outil tout indiqué est classiquement la convention bilatérale ou multilatérale. L’hypothèse n’est pas isolée, la question de la reconnaissance et de l’exécution des jugements entre certains des Etats membres de l’Union européenne et la Suisse, l’Islande, la Norvège et le Danemark est par exemple réglée par une convention bilatérale, la Convention de Lugano de 2007, signée entre ces derniers et l’Union européenne elle-même. Cependant la question reste entière de savoir si les négociations pourraient conduire à l’adoption d’une convention bilatérale dont le mécanisme de reconnaissance et d’exécution des jugements serait aussi abouti que celui mis en place par le Règlement Bruxelles I bis. La position de premier plan du Royaume-Uni parmi les partenaires commerciaux de la France devrait dans un premier temps rendre insoutenable le manque de prévisibilité et de sécurité juridique en la matière.
[1] Les conditions de régularité internationale des jugements étrangers ont été précisées dans l’arrêt dit « Cornelissen » (Cass. Civ. 1ère, 20 févr. 2007, n°05-14.082, Cornelissen c/Sté Avianca Inc et a).
[2] Prof. Dickinson, « Back to the Future – the UK’s EU Exit and the Conflict of Laws« , 12, Journal of Private International Law 195 (2016)
David Chijner, Avocat Associé, DLA Piper France, Partenaire du Club des juristes