L’information des consommateurs comme levier d’amélioration
De la crise de la vache folle aux vidéos de l’association L214, les raisons de s’inquiéter des conditions de vie, de transport et d’abattage des animaux d’élevage ne manquent pas, d’autant plus que sensibilité et intelligence animale s’imposent comme des réalités scientifiques indiscutables. Les Européens y semblent de plus en plus sensibles, au point que l’initiative citoyenne européenne contre l’élevage en cage vient de passer le cap du million de signatures et que le végétarisme étend son empire.
Les progrès législatifs s’avèrent cependant timides. L’insertion de l’article 515-14 dans notre code civil a fait couler beaucoup d’encre, mais la portée de ce texte demeure limitée : les animaux sont certes reconnus comme des « êtres vivants doués de sensibilité », ils continuent d’être « soumis au régime des biens » « sous réserve des lois qui les protègent ». Or, les législations protectrices du bien-être des animaux d’élevage s’avèrent lacunaires, que ce soit du point de vue des exigences imposées ou des espèces couvertes. Aussi, la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable (EGALIM) introduit certes quelques avancées en matière de bien-être animal (notamment en ce qui concerne la répression des mauvais traitements commis par les professionnels), mais elle reste très décevante dans l’ensemble.
En dépit de l’évolution de l’opinion publique, les partisans de législations plus protectrices continuent à se heurter à des obstacles importants : leurs revendications viendraient saper la liberté de circulation des marchandises, atteindre la démocratisation de la consommation de viande, mettre en péril la pérennité de la filière et, avec elle, de traditions culinaires voire culturelles.
Dans ce contexte, d’aucuns placent leurs espoirs dans une solution de compromis : l’information des consommateurs sur la prise en compte du bien-être animal dans le processus de production permettrait l’amélioration croisée du sort des animaux d’élevage et des acteurs de la filière.
Tandis que certains acteurs montent en gamme sur le bien-être animal, d’autres, en Europe et ailleurs, s’en tiennent à des standards très faibles, voire inexistants. Entre les pires et les meilleures pratiques, une infinie palette de nuances s’établit. Il n’est pas exclu que les producteurs les plus avancés sur le terrain du bien-être animal parviennent à entraîner dans leur sillage bon nombre de concurrents, mais encore faut-il leur démontrer que la bientraitance animale pouvait s’avérer rentable. Rentabiliser les bonnes pratiques volontaires suppose à l’évidence que les consommateurs en soient informés, et c’est ainsi que l’information délivrée aux consommateurs sur le traitement réservé aux animaux d’élevage est destinée à proliférer.
D’ores et déjà, les allégations relatives au bien-être animal – concept déjà difficilement saisissable en droit – fleurissent dans les points de vente hexagonaux (« œufs fermiers », poules « élevées en plein air », veau « élevé sous la mère », « lait de pâturage », etc.), et certaines entreprises ont commencé à expérimenter un étiquetage du bien-être animal. Cette prolifération d’informations contribuera indéniablement à sensibiliser professionnels et consommateurs ; mais le pullulement désordonné et non régulé des allégations, étiquettes et labels pourrait aussi semer la confusion dans l’esprit des consommateurs, voire alimenter une défiance s’il s’avérait que les actes ne suivaient pas les paroles.
Du reporting extrafinancier à l’étiquetage écologique des produits, l’expérience montre que l’information produite par les acteurs du marché n’est un instrument de régulation effectif qu’à deux conditions. Premièrement, la production des informations doit être régulée. À côté de l’institution d’une obligation légale d’information, d’autres techniques méritent considération, tels que le benchmarking des initiatives privées actuellement développé en lien avec la Clinique de l’Ecole de Droit de Sciences Po. Deuxièmement, il ne faut pas attendre qu’une majorité de consommateurs individuels se prennent au jeu ; les autorités publiques, endossant leur casquette d’acheteurs, ont une forte capacité de structuration des marchés qu’elles pourraient à l’avenir mobiliser davantage en matière de bien-être animal.
Par Régis Bismuth, professeur à l’École de Droit de Sciences Po et Expert du Club des juristes et Aude Solveig Epstein, maître de conférences en droit privé à l’Université Paris Nanterre.
Régis Bismuth et Aude-Solveig Epstein dirigent l’association Infotrack qui élabore des outils d’amélioration de l’information des consommateurs sur le sort des animaux d’élevage. L’association travaille avec les étudiants de la Clinique de l’Ecole de Droit de Sciences Po, et en lien avec toutes les parties prenantes.