Au 1er avril 2018 les deux millions de sociétés non cotées immatriculées au 1er août 2017 devront avoir déclaré au greffe l’identité et l’adresse des personnes physiques détenant, même indirectement, 25% de leur capital ou de leurs droits de vote. Cela s’appelle le registre des bénéficiaires effectifs.
Puis tout changement dans ces informations devra être signalé dans les trente jours.
Les redevances payables au greffe – quelques dizaines d’euros – sont peccadilles à côté des sanctions encourues : 7.500€ d’amende, inéligibilité… et, tant qu’à faire, six mois d’emprisonnement.
Le chef d’entreprise doit non seulement fournir, mais aussi obtenir, ces informations. Sauf que la loi ne lui dit pas comment faire. Si son actionnariat compte plusieurs strates d’entités juridiques, dont des étrangères, la loi ne dit pas de quels moyens d’investigation user pour satisfaire son obligation d’identifier l’individu en haut de la chaîne. Comble du paradoxe, nulle obligation n’est faite aux bénéficiaires effectifs de se déclarer comme tels auprès des sociétés.
La règle vient d’une directive européenne 2015/849 du 20 mai 2015, transposée par une ordonnance du 1er décembre 2016, l’une comme l’autre se revendiquant de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.
Parmi les principes de notre droit privé que la lutte contre le terrorisme a entamés, l’anonymat des actionnaires n’est pas la victime qui suscitera le plus de compassion dans l’opinion. Sauf que, lorsque l’analyse des études du Groupe d’Action Financière – le GAFI – confirme l’intuition qu’aucune des attaques terroristes qu’a subies notre continent au 21ème siècle n’a dû être rendue possible par des écheveaux de sociétés écrans immatriculées en Europe, lorsqu’on constate que les informations sur les bénéficiaires effectifs seront accessibles aux agents de l’administration des finances publiques chargés du contrôle et du recouvrement en matière fiscale, il s’impose à l’observateur que la traque de la fraude fiscale s’est glissée dans l’aspiration de la lutte contre le terrorisme pour recevoir des armes qu’en des temps plus sereins ses agents eussent peiné à obtenir.
Passe encore que l’Etat s’acharne davantage sur la fraude fiscale que sur le gaspillage d’argent public : c’est dans la nature des choses. En revanche le plus retors des fraudeurs fiscaux ne sera jamais assimilable à l’auteur d’attentats terroristes.
Des fonds terroristes ne peuvent transiter sur les comptes bancaires d’une société que si les systèmes de détection de sa banque sont pris en défaut. Qu’apporte l’obligation d’investigation demandée au chef d’entreprise ? Il ne sera jamais un limier plus efficace que ceux de sa banque, et s’il fait partie du réseau criminel, on peut douter que la menace des 6 mois d’emprisonnement le convainque d’aller sagement révéler au greffe l’identité et l’adresse exactes de son donneur d’ordres ultime.
Chefs d’entreprise, sous couvert de la lutte contre le terrorisme vous voici devenus des collaborateurs forcés de l’administration fiscale, avec toutefois deux différences majeures par rapport à vos collègues fonctionnaires : vous serez dépourvus de tous moyens d’action, mais passibles d’emprisonnement en cas d’échec.