Une réalité encore modeste, mais un développement exponentiel imminent
Entre le « code » normatif et le « code » numérique, il y a bien plus qu’une homonymie. Dans les deux cas, il s’agit de traduire dans un langage spécifique une prescription délivrée, soit à un individu, soit à une machine. L’encodage, commun aux deux opérations, n’est finalement qu’une forme de translittération qu’elle soit classique ou moderne. À l’heure où les codes se multiplient, et où il faudra bientôt un code des codes ou un code pour accéder aux codes, les codeurs informatiques apparaissent comme étant les nouveaux détenteurs du capital de la connaissance, comme l’étaient jadis les codes qui avaient avant tout pour fonction de compiler les règles. Écriture juridique et écriture numérique obéissent ainsi aux mêmes logiques. Il n’y a donc pas d’opposition ontologique entre droit et numérique. Au contraire.
Ce qui est vrai pour le droit l’est-il également pour la justice ? C’est à cette question que propose de répondre le rapport du Club des juristes ici présenté. La commission, constituée de magistrats, d’universitaires, de conseillers d’État, d’avocats, de directeurs juridiques (liste complète ici : https://www.leclubdesjuristes.com/les-commissions/commission-larbitrage-ligne) s’est concentrée sur une des formes de la justice, l’arbitrage. Son rapport sur « L’arbitrage en ligne » sera rendu public le 3 avril prochain au cours d’un colloque spécifique.
Le choix de l’arbitrage permet de s’intéresser à un mode de résolution des litiges plus souple, lequel pourrait a priori, par sa dimension souvent internationale, par les moyens dont il profite parfois, et par son adaptabilité revendiquée, offrir le terreau d’expérimentation idéale du numérique dans la justice. Qu’en est-il réellement ?
À l’inventaire déceptif des pratiques existantes succède la liste réjouissante des utilisations probables. Ce sont les deux temps du rapport.
Le constat de ce que l’arbitrage ne s’est emparé du numérique que de manière encore marginale a été dressé par la commission, à la suite notamment des auditions auxquelles elle a procédé. Ainsi, si l’arbitrage utilise la dématérialisation depuis longtemps pour la transmission des pièces, pour les actes juridictionnels ou même pour les audiences ou les délibérés, le numérique n’a pas encore réellement pénétré l’arbitrage, alors que, paradoxalement, la justice étatique semble avoir intégré le numérique. À cela s’ajoute le fait que les centres d’arbitrage en ligne, qui offrent déjà des services entièrement dématérialisés, ne parviennent toujours pas à déployer une activité fournie.
Mais, pour de nombreuses raisons identifiées dans le rapport, il y a aussi matière à être optimiste sur le développement de l’arbitrage en ligne, à la condition que celui-ci soit maîtrisé, et ne cède pas à la facilité d’arbitres intégralement remplacés par des algorithmes — ce qui serait de toute façon inconstitutionnel -, comme l’a indirectement énoncé le Conseil constitutionnel dans une décision récente. L’article 4 de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice du 23 mars 2019 devrait également favoriser le développement de la résolution des litiges par l’arbitrage en ligne, grâce à la certification des centres d’arbitrage en ligne et la reconnaissance de la sentence numérique. On pourrait aller plus loin et envisager des conditions de reconnaissance et d’exécution de ces sentences dématérialisées simplifiées, ce qui supposerait de modifier le Code de procédure civile.
En tout état de cause, s’agissant d’une justice qui doit donc en respecter les canons, l’arbitrage en ligne devra prendre garde à observer certaines prescriptions. Et, entre autres, celle de ne pas recourir excessivement à l’intelligence artificielle pour fonder une décision par mimétisme, celle de ne pas s’appuyer exagérément sur les algorithmes auto-apprenants, celle de révéler aux parties l’algorithme utilisé, celle de certifier obligatoirement les centres d’arbitrage en charge de litiges dont les montants sont inférieurs à 5000 €, celle de garantir la fiabilité et le stockage des échanges, celle de protéger les données personnelles, etc. L’arbitrage en ligne devra suivre un cadre contraignant qui assure sécurité et transparence, sans quoi il ne s’agirait plus d’arbitrage et, partant, pas de justice. Tel est le sens des 12 recommandations qui sont formulées dans le rapport du club des juristes désormais accessible, y compris en ligne.
Le Rapport sur l’arbitrage en ligne du Club des juristes sera disponible le 4 avril sur le site.
Par Thomas Clay, professeur à l’École de droit de la Sorbonne (Université Paris 1) et président de la Commission
« l’arbitrage en ligne » du Club des juristes.