La proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre vient d’être adoptée en seconde lecture à l’Assemblée nationale : les grandes entreprises (5000 salariés en France ou 10 000 en France et à l’International) auraient l’obligation d’établir « un plan de vigilance » pour prévenir les atteintes aux droits de l’Homme et à l’environnement ainsi que la corruption chez leur sous-traitants ou fournisseurs avec qui elles ont une relation commerciale durable.
Derrière des objectifs éminemment louables, se dissimule un texte qui appelle de grandes réserves, dénoncé de façon unanime par les représentants des entreprises pour les motifs suivants.
Sa complexité tout d’abord, en constatant l’immense champ des chefs de responsabilité retenus et une énumération peu éclairante sur l’identification des normes de référence. Pour les droits de l’homme et les libertés fondamentales, on n’en compte pas moins d’une vingtaine.
Son inadaptation au terrain ensuite. Par essence, la problématique relève de démarches concertées impliquant nos grandes entreprises, parmi les plus engagées mondialement dans des process vertueux à soutenir. Et condamner tout manquement en la matière même sans dommage établi, par une amende civile pouvant atteindre 10 millions d’euros, serait pour le moins décalé alors que la première sanction des comportements non vertueux relève en tout état de cause du marché. De même, comment faire fi du fait qu’aucun autre pays n’impose à ses sociétés une responsabilité d’une aussi vaste ampleur. Isolant la France, nul doute que ce dispositif, s’il voyait le jour, participerait des mesures favorisant la fuite de nos centres de décision et affecterait l’attractivité de notre territoire pour les investisseurs étrangers.
Au-delà, il n’est guère besoin d’une analyse approfondie pour prendre conscience que les seuils de déclenchement élevés sont un leurre. La portée de cette réforme irait bien au-delà des seules grandes entreprises, se répercutant inévitablement sur l’ensemble des partenaires français et étrangers composant leurs chaînes de valeur, quelle que soit leur taille. De facto, à cette cascade de plans de vigilance, seraient attachés des processus lourds de contrôle et d’audit internes et externes, avec des coûts conséquents.
Si réglementation il devait y avoir, il conviendrait plutôt de privilégier un texte international à partir des initiatives des Nations-Unies et de l’OCDE ou, à défaut, un texte européen, mais en aucun cas une loi française isolée. Dans un souci de cohérence des initiatives politiques, il est donc urgent de s’atteler à la transposition de la directive sur les obligations non financières, seule voie raisonnable.
Et de souligner, pour clore ce propos que l’Assemblée nationale a voté ce texte à 32 voix contre 1… Vous avez dit démocratie ? Mais toute circonspection serait ici malvenue, puisqu’il est de principe républicain que « l’Assemblée est toujours en nombre pour délibérer… ».