Le Club des juristes publie son rapport « Poursuite et sanction des abus de marché : le droit français à l’épreuve des textes communautaires et des jurisprudences récentes (CEDH, CJUE, Conseil constitutionnel ».
L’article 4 §1 du Protocole additionnel n° 7 du 22 novembre 1984 à la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales dispose qu’une personne ne peut pas être poursuivie ou punie pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif. Cette règle est traduite par l’adage « non bis in idem ». La France, à l’occasion de la ratification du Traité avait exprimé une réserve en précisant que seules les infractions relevant de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale devaient être regardées comme des infractions au sens de l’article 4 précité.
La Cour Européenne des Droits de l’Homme dans un arrêt dit « Grande Stevens » du 4 mars 2014, rendu dans le sillage d’arrêts antérieurs appliquant la règle « non bis in idem », reprise par l’article 4 §1, a jugé et que la procédure de sanction d’un abus de marché par l’autorité boursière italienne – similaire à la procédure française – portait sur une accusation « en matière pénale », susceptible d’interdire la poursuite pénale des mêmes faits. A cette occasion, la Cour a jugée invalide une réserve par l’Etat italien à l’application de l’article 4 §1, formulée dans des termes très similaires à la réserve française.
Le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité critiquant l’existence de la double poursuite, a jugé par une décision du 18 mars 2015 que le manquement et le délit d’initié étaient de nature similaire, poursuivaient la protection des mêmes intérêts et relevaient du même ordre de juridiction, ce dont le Conseil a déduit que la possibilité d’une double poursuite méconnaissait le principe constitutionnel de nécessité des peines. L’effet de l’abrogation des dispositions jugées inconstitutionnelles a été reporté par le Conseil au 1er septembre 2016.
Enfin, de façon concomitante et pour le moins paradoxale, la législation communautaire la plus récente (directive et règlement) réaffirme le principe d’une double répression pénale et administrative des abus de marché, et devra être appliquée ou transposée avant juillet 2016.
L’AMF souhaitant tirer les conséquences de ces décisions vient de publier un rapport préconisant différentes réformes.
Le Club des juristes a réuni un groupe de travail ayant pour vocation d’examiner les conséquences de ces décisions de justice et de ces textes sur la procédure française de poursuite et de sanction des abus de marché, sans préjudice de critiques émises par certains sur le bien-fondé de la jurisprudence de la Cour Européenne et sur la faculté pour l’Etat français de réagir face à une probable constatation de l’invalidité de sa réserve par la Cour européenne des droits de l’Homme.
De surcroît, la directive et le règlement communautaires sur les abus de marché du 16 avril 2014 imposent au législateur d’intervenir avant juillet 2016.
Le groupe a constaté qu’il n’était ni possible de prévoir la suppression des sanctions pénales ni opportun d’envisager celle des sanctions administratives.
La création d’un « tribunal des marchés financiers » qui a pour ambition d’améliorer les procédures de répression en matière financière, en tenant compte notamment de cette jurisprudence, a fait l’objet d’un examen et de la rédaction d’un projet de loi.
Faute de création d’un tel tribunal, a par ailleurs été envisagé un aiguillage entre les procédures pénales et administratives évitant de façon certaine l’engagement d’une double poursuite.
Afin d’en assurer l’efficacité, il apparaît nécessaire d’encadrer la constitution de partie civile. Quelques propositions d’amélioration de la procédure pénale ont également été évoquées. Cette réforme devrait permettre de reprendre les propositions d’un groupe récent du Club des juristes en vue de l’amélioration de l’indemnisation des victimes des marchés financiers.
Rapport disponible gratuitement en version papier sur demande (01 53 63 40 04)
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