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L’action de groupe à la croisée des chemins à l’aube de son 10e anniversaire, par Alexandre Kiabski et Félix Thillaye, associés chez White & Case

Conquête démocratique attendue de longue date pour certains, boîte de Pandore pour d’autres, l’action de groupe fait depuis une trentaine d’années l’objet de débats en France, notamment devant l’Assemblée nationale et le Sénat, lesquels ont adopté en mars 2023 et février 2024 des propositions de lois – contrastées – visant à rendre son régime plus attractif.

Introduite en France en 2014 à la faveur de la loi « Hamon » (L. n° 2014 -344, 17 mars 2014 relative à la consommation) pour créer un rapport de force plus favorable aux consommateurs, l’action de groupe permet à un nombre limité d’associations et organisations syndicales représentatives d’agir à l’encontre de professionnels qui auraient manqué à leurs obligations légales ou contractuelles, pour demander la réparation du préjudice subi par un groupe de victimes et, dans certains cas, la cessation du manquement.

Initialement cantonnée au domaine de la consommation, son périmètre a été étendu ensuite aux domaines des produits de santé, des données personnelles, des discriminations au travail, de l’environnement et de la location immobilière. Cette extension s’est cependant faite sans uniformisation, si bien que les régimes applicables dans ces différents domaines sont disparates : les exigences procédurales à respecter diffèrent, certains postes de préjudice sont indemnisables tandis que d’autres ne le sont pas selon les actions, etc. (- L’action de groupe du 21e siècle. – Un modèle réduit et réducteur ? : JCP G 2015, act. 1196, Libres propos S. Amrani-Mekki).

Dix ans plus tard, nombre d’acteurs jugent le bilan de l’action de groupe décevant, en raison notamment d’une excessive complexité des différents régimes ainsi que de la longueur des procédures. Aujourd’hui, sur 35 actions de groupe introduites, une seule a abouti à un jugement retenant la responsabilité du professionnel mise en cause.

Ce bilan a conduit le législateur à envisager dès 2020 une réforme visant à unifier et simplifier le régime de l’action de groupe, à étendre considérablement ses frontières actuelles en ouvrant cette action à davantage de demandeurs, de domaines et de postes de préjudices, et à doter le juge de nouveaux pouvoirs destinés à la rendre plus attractive et dissuasive. Ces réflexions étaient concomitantes avec l’adoption de la directive UE 2020/1828 visant à doter chaque État membre de l’Union Européenne d’un mécanisme procédural pour les actions représentatives, dont la date limite de transposition était fixée au 25 juin 2023 (PE et Cons. UE, dir. (UE) 2020/1828, 25 nov. 2020. – O. Kafi Cherrat, La transposition de la directive du 25 novembre 2020 sur les actions représentatives : la France à la croisée des chemins : JCP G 2023, doctr. 107).

Le 8 mars 2023, l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité une proposition de loi en ce sens, qui créé une action de groupe unique (AN, 15 déc. 2022, prop. loi n° 639, relative au régime juridique des actions de groupe), procéduralement allégée, ouverte en tous domaines et à de nouvelles catégories de demandeurs (par exemple des associations déclarées depuis deux ans ou agissant pour plus de 50 personnes physiques ou 5 personnes morales), et qui permet l’indemnisation de tous types de préjudices. Par ailleurs, ce texte prévoit la création d’une amende civile en cas de faute intentionnelle (risque non-assurable), dont le montant peut aller jusqu’à 3 % du chiffre d’affaires annuel. La création d’un registre public des actions de groupe est également actée.

Le Sénat est largement revenu sur le texte de l’Assemblée nationale, jugé susceptible d’exposer les professionnels à des actions malveillantes et un risque réputationnel important, en adoptant le 6 février 2024 une proposition de loi qui unifie et étend elle-aussi le régime actuel de l’action de groupe (à de nouvelles matières et à tous préjudices, notamment), mais dans une moindre mesure (Sénat, rapp. n° 271 (2023-2024), 24 janv. 2024 ; Sénat, TA n° 64 (2023-2024) mod., 6 févr. 2024).

Ce texte procède notamment, par rapport à celui de l’Assemblée, à un rétrécissement de la qualité pour agir (aux seules associations agréés) et du champ de l’action en matière de santé et de droit du travail, supprime l’amende civile, et cantonne l’action de groupe nouvelle aux faits postérieurs à son entrée en vigueur.

Le sort de l’action de groupe à la française est désormais entre les mains d’une commission mixte paritaire, qui devra trouver un compris entre les textes du Palais Bourbon et du Palais du Luxembourg. Elle pourrait bientôt connaître un succès considérable et prendre le pas sur les actions collectives classiques qui la concurrencent aujourd’hui (action en défense d’un intérêt collectif, action en représentation conjointe, action collective conjointe, etc.), avec une nouvelle dimension multi-juridictionnelle.

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