Le recours de l’Iran devant la Cour internationale de justice
La récente décision de l’Iran de porter plainte devant la Cour Internationale de Justice (CIJ), afin de contester la légalité des sanctions imposées par les Etats-Unis constitue un événement dont la portée doit être analysée à la fois sur le plan juridique et diplomatique. L’Iran semble clairement affirmer par cette démarche sa volonté d’ancrer la protection de ses intérêts dans un cadre multilatéral ; et d’éviter ainsi de se retrouver dans un rapport de force bilatéral qui de toute manière lui serait défavorable. Sur le plan juridique, la volonté de l’Iran de porter sa contestation au niveau judiciaire aura une portée hautement symbolique et permettra certainement à Téhéran de disposer d’une tribune médiatique lui offrant l’occasion de démontrer le respect de ses engagements internationaux contractés lors de l’accord de Vienne en juillet 2015. Toutefois, l’issue de cette démarche fondée sur le Traité d’amitié de 1955 reste aléatoire. Des mesures conservatoires visant à la suspension immédiate des sanctions américaines pourraient certes être retenues par la CIJ, néanmoins la décision au fond, qui ne peut être attendue avant un délai de plusieurs années, reste incertaine.
Pourtant, d’autres voies de recours existent afin de contester la légalité des sanctions américaines qui impactent fortement l’économie iranienne, comme la saisine de l’OMC ou de la CIJ en vue d’obtenir un avis consultatif concernant la licéité de la remise en place des sanctions américaines. Il sera rappelé que ces sanctions ont été réinstaurées depuis le 7 août 2018 après que le Président américain a annoncé le 8 mai 2018 la sortie des Etats-Unis de l’accord de Vienne conclu entre les 5+1 et l’Iran. Cette sortie unilatérale est, en pratique, contestable au regard du droit international public. Quoiqu’initialement peu engageant pour les pays signataires, l’accord de Vienne a néanmoins produit des effets très concrets pendant plus de deux ans : d’une part l’Iran a gelé le développement de son programme nucléaire militaire et d’autre part les autres signataires ont levé la plupart des sanctions économiques et financières liées au nucléaire iranien. Aujourd’hui, l’Iran, la Fédération de Russie, la Chine, la France, l’Allemagne et plus généralement l’Union européenne ont affirmé leur souveraineté en décidant de rester dans l’accord qui continue de les engager juridiquement. Les clauses de sortie ou le mécanisme de résolution des litiges prévus par l’accord de Vienne ou par la Résolution 2231 du Conseil de Sécurité de l’ONU qui l’a entériné, n’ont pas été appliqués par les Etats-Unis, si bien que leur sortie de l’accord de Vienne est juridiquement contestable en ce qu’il viole leur engagement international de ne pas rétablir les sanctions secondaires contre l’Iran.
Le régime des sanctions américaines ainsi remis en place a dissuadé de nombreuses entreprises françaises ou européennes, qui ont renoncé à leurs parts de marché iraniennes à la seule annonce de la menace des sanctions. Un arsenal juridique pourrait être mis en place par les Etats signataires de l’Accord au niveau européen et au plan international. L’Union européenne pourrait se doter de véritables outils juridiques pour protéger les entreprises européennes contre l’extraterritorialité de ces sanctions, dès lors qu’elles souhaiteraient poursuivre leur activité en Iran. L’Organe de règlement des différends de l’OMC pourrait, de même, être saisi pour des atteintes flagrantes au commerce international résultant de la remise en place des sanctions américaines. Enfin, la CIJ pourrait être sollicitée à l’initiative de l’Assemblée Générale de l’ONU afin de rendre un avis consultatif qui pourrait servir de base juridique en vue d’une procédure devant l’Organe de règlement des différends.
L’ouverture de ce chapitre juridique initié par l’Iran auprès de la CIJ revêt un intérêt majeur – par-delà ceux impliquant les deux protagonistes que sont Téhéran et Washington – car c’est, en définitive, la question de l’équilibre juridique international et de sa capacité à juger les différends entre les Etats qui sera scrutée à l’aune de la procédure en cours.
Les travaux menés par la Commission ad hoc « Questions iraniennes : analyses juridiques » du Club des juristes (coprésidée par Dominique Perben et Louis de Gaulle) offre un cadre d’analyse recouvrant l’ensemble des problématiques exposées dans le présent article.
Par Louis de Gaulle, Avocat associé De Gaulle Fleurance & Associés, co-président de la commission ad hoc « Questions iraniennes: analyses juridiques » du Club des juristes et Coline Bahareh Dassant, Avocat of counsel De Gaulle Fleurance & Associés, membre de la commission ad hoc « Questions iraniennes: analyses juridiques » du Club des juristes.