Le Royaume-Uni peut-il choisir sans renoncer ?
Le 24 décembre 2020, soit sept jours avant la date fatidique de prise d’effet du Brexit, l’Union européenne et le Royaume-Uni sont finalement parvenus à conclure un accord pour définir les conditions de leur coopération future, dont est cependant exclue la coopération judiciaire en matière civile et commerciale.
Jusqu’au 1er janvier 2021, le Royaume-Uni bénéficiait des règles harmonisées notamment en matière de conflits de loi et de compétence, et d’exécution des décisions judiciaires. Ces règles communes permettent un degré élevé de sécurité juridique et une circulation grandement facilitée des jugements au sein de l’espace judiciaire européen. En quittant celui-ci sans régime de coopération de substitution, le Royaume-Uni a perdu le bénéfice de ces règles, ce que certains ont qualifié de Hard Brexit en matière judiciaire.
Sous pression des lobbys de son industrie juridique et financière, Londres a néanmoins pris diverses mesures visant à atténuer les effets négatifs de son départ.
En matière de conflits de lois, le Royaume-Uni a intégré à droit constant dans sa législation nationale les dispositions des Règlements Rome I et Rome II sur la loi applicable aux obligations contractuelles et non contractuelles.
La situation est en revanche plus délicate en matière d’exécution des décisions judiciaires.
Par effet du Brexit, l’exécution des jugements anglais ne bénéficie en effet plus du mécanisme facilité prévu par le Règlement Bruxelles I bis, et est désormais soumise aux règles nationales de chacun des 27 États membres de l’Union qui prévoient des procédures souvent lourdes et des conditions d’exequatur différentes.
Afin de pallier ce problème, le Royaume-Uni a déposé le 8 avril 2020 une demande d’adhésion à la Convention de Lugano de 2007 en vigueur entre l’Union Européenne, la Suisse, le Danemark, la Norvège et l’Islande, qui prévoit des règles certes moins abouties que le Règlement Bruxelles I bis mais néanmoins communes. Cette demande semble cependant avoir peu de chance de recueillir la majorité qualifiée des membres du Conseil de l’UE, la France ayant notamment ouvertement marqué son opposition par la voix de son Garde des Sceaux. Le 11 février 2021, Éric Dupond-Moretti déclarait à la commission des lois de l’Assemblée nationale : « L’avantage que nous avons en Europe c’est la reconnaissance des décisions de justice (…) La France s’oppose à l’adhésion du Royaume-Uni à la Convention de Lugano (…) Au fond, quand on sort de l’Union, on en tire un certain nombre de conséquences ; et nous, nous sommes dans l’Union et nous souhaitons en avoir les bénéfices ». Il semble pour les mêmes raisons également exclu, en tout cas pour le moment, qu’un accord de coopération sui generis soit conclu entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, à l’instar de celui signé avec le Danemark.
Reste pour le Royaume-Uni les conventions internationales qui la lient par ailleurs à l’Union Européenne ou à certains de ses membres, mais dont aucune n’offre un cadre de coopération aussi large et performant que celui de la Convention de Lugano.
Ainsi la Convention de La Haye de 2005 permet l’exécution dans l’Union Européenne des seules décisions rendues sur la base d’une clause d’élection de for, et seulement si celle-ci est exclusive, ainsi que vient récemment d’en convenir la UK Court of Appeal (Etihad Airways PJSC v Flother [2020] EWCA Civ 1707 (18 déc. 2020)). Cette Convention a en outre un champ d’application matériel plus réduit que l’Union Européenne entend voir appliquer de manière stricte, tout comme sa date d’entrée en vigueur au Royaume-Uni, qui fait débat.
Enfin, la possible résurrection de certaines conventions multilatérales ou bilatérales, telle la Convention franco-britannique sur l’exécution réciproque des jugements en matière civile et commerciale du 18 janvier 1934, qui avaient été remplacées par les textes communautaires désormais inapplicables au Royaume-Uni, nous semble devoir être signalée. Cette hypothèse soulève néanmoins d’épineuses questions d’applicabilité, notamment au regard du principe de non-discrimination applicable au sein de l’Union européenne.
Il est encore trop tôt pour savoir si ce Hard Brexit en matière judiciaire nuira à l’attractivité des juridictions britanniques en matière commerciale. Tel est en tout cas le pari de la France qui a créé il y a un peu plus de trois ans une chambre commerciale internationale près la Cour d’appel de Paris afin d’attirer les contentieux en la matière.
Par Jean-Sébastien Bazille et Yohan Bendao, avocats au barreau de Paris, cabinet GIDE