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« Gun-jumping » : l’heure des éclaircissements ?

Depuis l’amende de 80 millions d’euros infligée à Numéricable et SFR Group fin 2016 (« Décision Altice ») pour avoir mis en œuvre, de manière anticipée, deux opérations de concentration (« gun-jumping »), des interrogations étaient nées quant à la compatibilité de certaines pratiques courantes lors d’acquisitions avec les règles de concurrence.

Plus de 18 mois après, à défaut de lignes directrices, la Présidente de l’Autorité de la concurrence, Isabelle de Silva, a publié début juillet 2018 une tribune visant à apporter quelques clarifications. Répondant à certains qui avaient voulu voir dans cette décision un cas d’espèce, elle en réitère le caractère de guide de lecture, confortée en cela par la décision récente de la Commission européenne sur des pratiques similaires d’Altice lors de son acquisition de PT Portugal. Si en effet le cumul des comportements dans cette affaire en faisait un cas d’école, la Présidente confirme que chacun d’eux seul, en fonction des circonstances, peut constituer une pratique de gun jumping.

Souhaitant tout d’abord mettre un terme à la polémique née de certaines formulations malheureuses de la Décision Altice quant aux échanges d’informations nécessaires pour évaluer l’opportunité d’un rapprochement d’entreprises ou préparer la phase d’intégration, Madame de Silva admet clairement la nécessité de tels échanges, sous réserve toutefois de prévoir des mécanismes appropriés garantissant la confidentialité des informations échangées, type clean team. Très peu d’indications sont cependant données sur ce qu’elle considère être raisonnable, notamment quant aux modalités d’inclusion de salariés de l’entreprise dans ces clean teams, laissant aux parties à l’opération la responsabilité de déterminer, au cas par cas, le choix du bon modèle.

L’autre point d’attention concernait l’analyse des clauses de gestion intermédiaires (« covenants »), par lesquelles un droit de regard sur la cible est conféré à l’acquéreur pour le protéger contre une dévalorisation de celle-ci. Pour répondre à certaines craintes, la Présidente indique très clairement que ces clauses constituent une pratique habituelle et parfaitement légitime, à condition qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour atteindre cet objectif et fassent l’objet d’une interprétation restrictive. La singularité de chaque opération et du marché sur lequel elle a lieu rendant impossible la fixation d’un seuil au-delà duquel les investissements de la cible seraient considérés comme en dehors de la gestion courante des affaires, c’est là encore au cas par cas qu’il convient d’évaluer les situations, nécessairement exceptionnelles, qui pourraient justifier un éventuel accord préalable de l’acquéreur.

C’est donc aux entreprises d’apprécier si les modalités envisagées lors de leurs opérations sont conformes aux règles de concurrence, aidées en cela par le récent arrêt de la Cour de Justice de l’Union dans l’affaire KPMG, qui rappelle que seul un comportement entraînant un changement de contrôle de manière anticipée enfreint l’obligation de suspension avant autorisation.

 

 

Mélanie Thill-Tayara

Mélanie Thill-Tayara

Avocat à la Cour, Dechert
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