La littérature en matière de gouvernement d’entreprise est abondante ; il serait présomptueux de vouloir apporter autres choses ici que de brèves observations pratiques sur des sujets qui font débat.
En premier lieu, une fois encore, l’AMF relève, dans son rapport 2024 sur le gouvernement d’entreprise, que « l’indépendance des administrateurs reste un sujet majeur », notamment s’agissant de l’ancienneté des mandats. L’article 10.5 du Code AFEP-MEDEF retient une durée maximum de douze ans à l’issue de laquelle l’indépendance s’envole.
L’AMF constate un nombre croissant de sociétés écartant l’application de ce critère et l’absence ou l’insuffisance des explications. Mais n’est-ce pas le signe d’une perte de pertinence de ce critère au fil des ans ?
La pratique des conseils d’administration s’est transformée depuis le rapport Bouton de 2002 (« Pour un meilleur gouvernement des entreprises cotées », rapp., 23 sept. 2002). Ne devrait-on pas réfléchir, dans un contexte de grande professionnalisation et de diversité plus aboutie de ces instances, à l’intérêt de ce couperet discrétionnaire ? Nombre de leurs membres ont un sens de leur mission, une expérience et une indépendance de jugement qui n’ont pas de raison de se dissoudre au fil des ans. Et de quelle étude comportementale ressort-il qu’un administrateur élu pour la première fois serait moins sous l’influence de la direction que celle ou celui qui a fait ses preuves et qui est écouté de ses pairs ?
Une rapide analyse multi-juridictionnelle enseigne que si la plupart des critères d’indépendance sont partagés, celui de l’ancienneté ne l’est pas systématiquement. Certaines juridictions considèrent que l’ancienneté dans le mandat peut troubler l’indépendance. C’est notamment le cas du Royaume-Uni (le UK Governance Code retient une durée supérieure à 9 ans), de l’Espagne (avec une période continue de 12 ans), l’Italie (9 ans, même non-consécutifs, sur les 12 dernières années) et de la Belgique (12 ans cumulés). À l’inverse, des juridictions telles que les États-Unis ou les Pays-Bas ne retiennent pas cet élément comme faisant par principe obstacle à l’indépendance.
Deuxième point d’intérêt : la prise en compte croissante et justifiée des enjeux liés à la responsabilité sociale et environnementale par les entreprises, appréhendés très tôt par le droit français (loi n° 2001-420, 15 mai 2001, dite loi NRE ; loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 sur le devoir de vigilance ; loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, PACTE, notamment), conduit certains à défier la hiérarchie des organes sociaux des sociétés anonymes, principalement au travers du débat créé autour des résolutions « Say on Climate ». Mais qu’a-t-on à gagner à ce débat ?
Les principes posés par le Code de commerce sont clairs : la définition de la stratégie appartient au conseil d’administration, qui a, depuis la loi PACTE, l’obligation de prendre en considération « les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». La jurisprudence, ainsi que le rappelle justement le rapport du HCJP sur les résolutions climatiques (2023), invite sans ambiguïté au respect de cette répartition des pouvoirs.
Les actionnaires disposent d’un pouvoir souverain de sanctionner la stratégie de la société, y compris s’agissant de la prise en compte des enjeux sociétaux ou environnementaux, en agissant sur la composition de l’instance en charge de cette stratégie. S’agissant des sociétés cotées, la sanction intervient même de manière plus immédiate par l’impact sur le cours de bourse d’une appréciation négative de la stratégie suivie.
Sans préjudice de la présentation à l’assemblée de la stratégie climatique prévue par le nouvel article 5.4 du Code AFEP-MEDEF – qui n’emporte pas, ainsi que l’a rappelé le HCGE, d’obligation de dépôt d’une résolution climatique -, les sociétés elles-mêmes ont bien sûr toute liberté de susciter un vote consultatif de leurs actionnaires sur ces sujets (même s’il existe d’autres moyens efficaces d’entretenir le dialogue actionnarial). Mais quel serait l’intérêt de créer un dispositif contraignant permettant aux actionnaires de forcer l’inscription de résolutions climatiques à l’ordre du jour ? Cela ne ferait qu’ajouter une strate de complexité supplémentaire au droit des sociétés (déjà victime de l’inflation législative) au détriment de sa lisibilité et de sa prévisibilité.
Terminons enfin par le sujet sensible du « say on pay ». L’AMF relève « une forte contestation des actionnaires à l’occasion du vote [de ces] résolutions ». Qu’il soit permis d’avoir une vision plus nuancée. En premier lieu, la « forte contestation » correspond à une part de votes négatifs supérieure à 20 %, pour des résolutions qui doivent être votées à la majorité simple… Par ailleurs, l’étude annuelle de l’AFG sur l’exercice des droits de vote par les sociétés de gestion dans le monde apporte un éclairage intéressant : la rémunération des dirigeants est, dans le monde entier, « au centre des votes d’opposition des gérants », mais la France est le pays où le poids relatif des votes d’opposition est le plus faible. Il est en effet de 31 %, contre 40 % en Europe (hors France) et 49 % en Amérique du Nord. On peut donc, à tout le moins, voir le verre à moitié plein.