Le Club des Juristes a organisé, le 24 janvier 2018, un débat à l’occasion de la sortie du rapport réalisé par sa Commission Concurrence sur le thème « Pour une réforme du Droit de la concurrence ».
Ce débat a été mené par :
– Guy Canivet, Co-Président de la Commission concurrence du Club des juristes, Président du Haut Comité juridique de la place financière de Paris, Premier Président honoraire de la Cour de cassation et ancien membre du Conseil constitutionnel ;
– Frédéric Jenny, Co-Président de la Commission concurrence du Club des juristes, Professeur d’Economie à l’ESSEC Business School, Ancien Conseiller en service extraordinaire de la Chambre commerciale de la Cour de cassation et Président du Comité de la concurrence de l’OCDE.
Avec la participation de :
– Muriel Chagny, Membre de la Commission concurrence du Club des juristes, Professeur des Universités, Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines ;
– Laurence Idot, Membre de la Commission concurrence du Club des juristes, Professeur des Universités, Université Paris II Panthéon-Assas et Membre du Collège de l’Autorité de la Concurrence.
Guy Canivet a ouvert les discussions, rappelant la démarche qui a sous-tendu les travaux effectués par la Commission Concurrence, constituée à l’occasion du 30ème anniversaire de l’Ordonnance du 1er décembre 1986 et qui a transformé l’Economie française. Le contexte de l’époque a été analysé ainsi que l’évolution de l’application de cette Ordonnance afin d’évaluer s’il y a désormais lieu de procéder à des aménagements.
La conclusion des travaux de la Commission est que le droit de la concurrence s’est avéré robuste. L’évolution juridique a été à la mesure des attentes que pouvaient avoir les entreprises et les opérateurs économiques. Les principales propositions formulées tiennent à la nécessité d’améliorer l’efficacité des institutions, de mieux prendre en compte l’analyse économique, d’éliminer les scories ajoutées au fil du temps et de renforcer le dispositif institutionnel.
Frédéric Jenny a ensuite rappelé le contexte international dans lequel le droit de la concurrence évolue. Il a également souligné que les innovations techniques (économie digitale) nécessitent un effort d’adaptation de certains instruments du droit de la concurrence. Les grandes entreprises sont aujourd’hui beaucoup plus sensibles à la logique du droit de la concurrence, les PME moins. De même, le monde politique n’a pas toujours une compréhension parfaite des mécanismes de concurrence, qui supposent d’avoir une vision à long-terme.
Laurence Idot a quant à elle, commenté notamment les propositions du rapport qui ont trait aux règles de fond et de mise en œuvre du droit de la concurrence. S’agissant des premières, le rapport propose un « toilettage » du Titre II du Code de commerce afin de s’aligner sur le droit de l’Union européenne. S’agissant des secondes, les développements du rapport sont moins importants puisque la Commission européenne a récemment publié la proposition de directive ECN+ qui traite de ces questions tandis que l’Autorité de la concurrence a lancé une réflexion interne pour l’amélioration de ses procédures et a annoncé une consultation publique sur la procédure de transaction.
Frédéric Jenny a abordé la question du contrôle des concentrations. Les principales propositions du rapport portent sur la nécessité de conserver les seuils de notifiabilité en valeur absolue, de prendre davantage en compte la contribution au progrès économique, de régler les problèmes de convergence liés au guichet unique, de clarifier ce que peuvent faire ou non les parties à une concentration avant que celle-ci ne soit autorisée, de clarifier les critères sur lesquels un Ministre de l’économie peut intervenir.
Guy Canivet est revenu ensuite sur les débats qui ont animé la Commission Concurrence lors des discussions sur le droit des pratiques restrictives. Ils sont d’autant plus actuels que le Gouvernement a l’intention de présenter une loi d’habilitation pour réécrire ce Titre IV.
Muriel Chagny a pour sa part, formulé des propositions « dissidentes », qui procèdent d’une double conviction. Si la disparition pure et simple des pratiques restrictives est aussi improbable qu’inopportune, il est néanmoins nécessaire de faire évoluer cette branche du droit, puisqu’il existe notamment des réflexions au niveau européen pour élaborer un droit des pratiques commerciales déloyales entre professionnels. Une recomposition du Titre IV du Livre IV du Code de commerce est nécessaire, ainsi que la suppression de certaines dispositions (par exemple l’interdiction de la revente à perte et des prix minima de revente). S’agissant de la mise en œuvre, les propositions visent à l’augmentation des moyens.
Frédéric Jenny a enfin rappelé que la quasi-totalité des pays étrangers n’ont pas, dans leur droit de la concurrence, de telles dispositions. Les propositions présentées dans le rapport tendent à restreindre, voire éliminer, les dispositions du Titre IV qui sont anticoncurrentielles, à avoir un chapitre sur la concurrence déloyale et à renvoyer au droit commun des contrats.
S’agissant des propositions de nature institutionnelle, de nombreuses réflexions sur l’organisation des institutions et leur influence sur le droit. Il est apparu nettement que le statut et le rôle du chef économiste diffèrent à l’échelle européenne et française. Il faudrait ainsi rattacher le chef économiste au collège afin que celui-ci puisse s’appuyer sur une évaluation économique indépendante. De plus, le groupe recommande de professionnaliser davantage le collège. Le recrutement des rapporteurs devrait également évoluer afin de garantir qu’ils aient une connaissance du monde digital et de l’intérieur de l’entreprise. L’autonomie budgétaire de l’Autorité de la concurrence devrait par ailleurs être renforcée.
Quant à l’aspect juridictionnel, il est nécessaire de renforcer la capacité et les ressources des magistrats, de regrouper les contentieux, de donner la possibilité à la Cour d’appel de Paris d’avoir des conseillers en service extraordinaire et des assistants de justice, et enfin de mettre en place des systèmes de formation qui soient plus intégrés.
Le dialogue s’est achevé par un débat entre les différents intervenants et le public.
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Quelles sont les principales perspectives d’évolution du droit de la concurrence ?
Guy Canivet est magistrat depuis 1972, il a exercé de nombreuses responsabilités au sein de la magistrature. Il a notamment été conseiller puis Président à la chambre « concurrence » de la cour d’appel de Paris, conseiller à la Chambre commerciale économique et financière de la Cour de cassation, premier Président de la Cour d’appel de Paris, premier Président honoraire de la Cour de cassation puis membre du Conseil constitutionnel de 2007 à 2016. Depuis le mois de juillet 2016, il est Président du Haut comité juridique de la place financière de Paris (HCJP).
Pourquoi l’Économie joue-t-elle un rôle si fondamental en droit de la concurrence ?
Frédéric Jenny est professeur d’Economie à l’ESSEC et co-directeur du Centre Européen de Droit et d’Economie de l’ESSEC (CEDE). Il est également Président du Comité de la concurrence de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) depuis 1994. Il a été magistrat à la Cour de cassation (Chambre commerciale) de 2004 à 2012, Administrateur de l’Office of Fair Trading (Autorité de concurrence du Royaume Uni) de 2007 à 2012, Président du Groupe de Travail de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur l’interaction entre la concurrence et le commerce international de 1997 à 2003, Vice-Président du Conseil de la concurrence de 1993 à 2004 et Rapporteur Général du Conseil de la concurrence de 1984 à 1993.