Le Club des juristes a organisé le jeudi 5 mars une conférence dédiée au premier bilan d’une évolution majeure du droit pénal issue de la loi Sapin 2 : les conventions judiciaires d’intérêt public (CJIP).
La conférence a rassemblé près de 100 personnes provenant de cabinets d’avocats, d’entreprises et de médias.
Préparée et animée par Jean-Pierre GRANDJEAN, associé du Cabinet Grandjean Avocats, ancien membre du Conseil de l’Ordre et Expert du Club des Juristes, la table ronde a réuni :
Jean-Michel HAYAT, Premier Président de la Cour d’appel de Paris ;
Jean-François BOHNERT, Procureur de la République Financier ;
Patricia BARBIZET, Dirigeante d’entreprise, Présidente du Haut Comité de Gouvernement d’Entreprise ;
Eric DEZEUZE, Avocat associé du Cabinet Bredin Prat.
Les « CJIP »
« Les conventions judiciaires d’intérêt public révolutionnent la justice pénale »
Jean-Pierre Grandjean, Associé du Cabinet GRANDJEAN Avocats
Créée par la loi du 9 décembre 2016 (dite Sapin 2), cette procédure permet au procureur de la République de conclure une transaction (CJIP) avec une personne morale mise en cause pour des faits de corruption, trafic d’influence, fraude fiscale (depuis la loi du 18 octobre 2018), blanchiment et toute infraction connexe.
Lorsqu’elle intervient après l’ouverture d’une information judiciaire, la CJIP suppose une reconnaissance des faits et de leur qualification pénale (article 180-2 CPP). Dans le cadre d’une enquête préliminaire, elle n’emporte pas reconnaissance de culpabilité. La CJIP éteint l’action publique à l’égard de la personne morale (pas des personnes physiques) à la condition qu’elle respecte les conditions fixées dans la CJIP, à savoir :
le versement d’une amende d’intérêt public, dont le montant ne peut excéder 30% du chiffre d’affaires moyen annuel calculé sur la base des trois dernières années ;
pour la corruption : la mise en place ou le renforcement d’un programme de mise en conformité (« compliance ») aux frais de l’entreprise et sous le contrôle de l’Agence Française Anti-corruption (AFA);
la réparation du dommage de la victime lorsqu’elle est identifiée.
« Si le montant des amendes versées retient l’attention, les CJIP comportent des obligations de mise en conformité importantes pour la bonne gouvernance des entreprises »
Patricia Barbizet, Dirigeante d’entreprise, Présidente du HCGE
Proposée par le procureur de la République et acceptée par la personne morale, la CIJP doit faire l’objet d’une validation judicaire lors d’une audience publique. La CJIP donne lieu à un communiqué. Sa validation ne vaut pas jugement de condamnation et elle n’est pas inscrite au casier judiciaire.
Après deux ans d’application, dix CJIP ont été validées par les Tribunaux de Paris et de Nanterre
« Il faut un véritable esprit coopératif de la part de la personne morale en cause »
Jean-François Bohnert, Procureur de la République Financier
Depuis le décret du 27 avril 2017, six Conventions judicaires d’intérêt public ont été conclues par le parquet national financier (PNF), trois par le parquet de Nanterre et une par le parquet de Paris. Sept ont été validées par le Président du tribunal judiciaire (ex TGI) de Paris et trois à Nanterre.
Selon une étude du Cabinet Grandjean Avocats, le total des amendes d’intérêt public pour ces dix premières CJIP s’élève à 3.030.793.632 euros. Dans six dossiers qui étaient à l’instruction avant la CJIP, les entreprises ont reconnu les faits et la qualification pénale, pas dans les quatre autres où la CJIP est intervenue en phase d’enquête préliminaire. Quatre dossiers ont trait à la fraude fiscale ou au blanchiment, tandis que six concernent la corruption dont trois d’agent publics étrangers. Cinq ont fait l’objet de la mise en place ou du renforcement du programme de « compliance » des sociétés concernées, sous la supervision de l’AFA.
Les sociétés concernées sont pour six d’entre elles françaises, trois sont étrangères, une est une SA européenne.
Deux CJIP sont l’aboutissement d’une coopération internationale entre autorités de poursuite, dont la dernière (AIRBUS) où le PNF a étroitement travaillé avec le DOJ américain (Department of Justice) et le SFO britannique (Serious Fraud Office).
« Nous commençons à avoir une vision de ce que peut être la CJIP, pour en dégager de grandes lignes »
Maître Eric Dezeuze, Avocat associé du Cabinet Bredin Prat
La table ronde a mesuré, à la lumière des dix premières CJIP, le chemin parcouru depuis l’entrée en vigueur de cette importante réforme du droit pénal, inspirée des solutions américaines.
Tant pour les magistrats, du siège comme du parquet, que pour les avocats et les entreprises, il n’est pas exagéré de parler d’un changement de paradigme : les CIJP supposent, de la part de chacun, un travail coopératif en vue d’une justice pénale transactionnelle. Les dix premières CJIP ont montré l’efficacité de ce mécanisme.
Après avoir recueilli le point de vue général des intervenants sur les deux premières années de mise en œuvre des CJIP, trois thèmes particuliers ont permis d’approfondir la réflexion :
- Les modalités de fixation des amendes d’intérêt public ;
- Les engagements relatifs aux programmes de compliance ;
- Le sort des personnes physiques.
La table ronde s’est enfin interrogée sur l’extension du champ de la justice pénale transactionnelle, un projet de loi en discussion au Parlement (adopté par le Sénat en première lecture le 3 mars 2020) prévoyant d’étendre les CJIP aux atteintes à l’environnement.
« Il est remarquable que cette loi suscite peu de réaction négative alors qu’en 2016, lors du vote de la Loi Sapin 2, les oppositions furent fortes, notamment dans la magistrature. Les CJIP sont entrées dans notre droit et notre pratique »
Jean-Michel Hayat, Premier Président de la Cour d’appel de Paris