Par Alexandre Guigue, Maître de conférence HDR en droit public, Centre de recherche en droit Antoine Favre, Université Savoie Mont Blanc
Les élections législatives qui se sont tenues en Écosse le 6 mai 2021 marquent une nouvelle étape dans la période de tension qui s’est ouverte entre Londres et Édimbourg depuis le référendum sur la sortie de l’Union européenne. Comme prévu par les instituts de sondage, le parti nationaliste écossais (Scottish National Party, SNP) a remporté une nette victoire, accentuant la pression sur le gouvernement britannique en vue de la tenue d’un nouveau référendum sur l’indépendance. Mais l’intransigeance de Boris Johnson pourrait conduire les indépendantistes à choisir la voie unilatérale. Nicola Sturgeon envisage sérieusement de faire voter par le Parlement écossais une loi organisant un référendum consultatif. Cette option, qui rappelle ce qui s’est produit en Catalogne en 2017, paraît toutefois très risquée pour les indépendantistes.
Les enseignements des élections législatives du 6 mai 2021
Avec un taux de participation record (63,4 %), les élections législatives écossaises de 2021 sont un scrutin à part. La question de l’indépendance a hanté la campagne et a conduit à l’émergence, dans les dernières semaines, de stratégies de vote de la part des unionistes pour faire barrage aux indépendantistes. Pour leur part, les médias ont entretenu la comparaison avec le scrutin de 2011 qui avait ouvert la voie au référendum de 2014. À l’époque, le SNP avait obtenu 69 sièges sur 129, soit la majorité absolue. Dans les semaines qui ont précédé le scrutin du 6 mai 2021, la barre fatidique des 65 sièges est devenu un objectif symbolique pour le SNP qui avait obtenu 63 sièges lors du précédent scrutin, en 2016. Finalement, le SNP échoue, en 2021, à un siège de la majorité absolue, à 64 sièges. Mais le parti de Nicola Sturgeon constitue avec les Verts, qui a connu une forte poussée, avec 8 sièges, un bloc indépendantiste fort de 72 sièges sur les 129 sièges du Parlement d’Holyrood. Du côté des partis traditionnels, la débâcle du parti travailliste dans les élections locales de 2021 s’est vérifiée aussi un peu en Écosse où il faisait traditionnellement un bon score. Surtout, l’écart s’est un peu creusé avec le parti conservateur qui a réussi à conserver 31 sièges contre, désormais, 22 sièges seulement pour les travaillistes. Dans ce contexte, l’échec de la tentative d’Alex Salmond d’imposer son nouveau parti Alba (qui signifie Écosse en gaelic écossais), et qui n’est pas parvenu à obtenir le moindre siège, apparaît presque comme anecdotique. Empêtré dans une affaire d’infractions sexuelles depuis août 2018, l’ancien leader du SNP a fait beaucoup parler de lui dans les mois qui ont précédé le scrutin et il a failli emporter Nicola Sturgeon dans sa chute. En effet, sa successeur à la direction du SNP était accusée d’avoir menti sur le moment où elle avait eu connaissance de l’affaire. Après quelques rebondissements, un rapport indépendant a finalement conclu qu’elle n’avait pas violé le code ministériel. Ainsi blanchie, elle a pu se concentrer sur la campagne du SNP, avec pratiquement aucune conséquence négative dans les urnes. L’échec d’Alex Salmond est même une bonne nouvelle pour elle car la position du SNP sur l’indépendance est perçue comme plus modérée que celle prônée par son ancien leader. Pour autant, même avec une orientation prudente, la voie de l’indépendance paraît encore longue.
L’impossibilité d’un référendum décisionnaire
Le Scotland Act de 1998 (annexe 5) fait de l’union entre les royaumes d’Écosse et d’Angleterre une compétence exclusive du gouvernement britannique. Les autorités écossaises n’ont donc pas le pouvoir d’organiser un scrutin sans l’aval du gouvernement britannique. En 2011, fort de sa victoire électorale, Alex Salmond avait réussi à convaincre David Cameron d’accepter la tenue d’un référendum. Le Premier ministre s’était alors appuyé sur la section 30 du Scotland Act de 1998 et avait fait adopter un ordre royal pris sur avis du Conseil privé afin de déléguer temporairement au Parlement d’Holyrood la compétence qui lui était légalement réservée. Cette procédure avait permis aux partisans et aux adversaires de l’indépendance de s’affronter en 2014 dans un contexte relativement apaisé. En 2021, le Parlement de Westminster pourrait tout à fait décider d’un référendum de sa propre autorité. À défaut, le précédent procédural de 2014 serait, a priori, la seule voie possible. Si le Parlement d’Holyrood décidait de passer outre et agissait sans l’aval du gouvernement central, il ne fait nul doute que la Cour suprême censurerait la loi écossaise et que le SNP aurait du mal à convaincre les électeurs de la logique de sa démarche. C’est d’ailleurs ce qui explique que Nicola Sturgeon a, jusqu’ici, privilégié la voie politique. En 2021, les résultats peuvent lui donner des moyens d’espérer. Le SNP a certes remporté quelques sièges de moins qu’en 2011 mais il forme un bloc indépendantiste largement majoritaire. Il y a cependant deux obstacles de taille qui freinent sa volonté indépendantiste. D’abord, tous les partis, SNP compris, avaient admis en 2014 que le premier référendum règlerait la question « pour une génération ». Pour Nicola Sturgeon, le Brexit, refusé par les Écossais à 62 % mais qui lui est néanmoins imposé, constitue un « changement matériel de circonstance » (discours du 24 juin 2016) justifiant l’abandon de cette promesse. Mais le gouvernement britannique ne partage pas cet avis. Le second obstacle se nomme Boris Johnson. En coulisses, il jure qu’il ne sera pas le Premier ministre qui facilitera la désunion du royaume et, sachant la détermination qui l’a animé pendant la négociation du Brexit, la perspective d’un accord politique paraît peu plausible.
L’hypothèse d’un référendum consultatif
Le problème du SNP est qu’il ne peut pas faire campagne pour l’indépendance de l’Écosse et ne rien tenter une fois en position majoritaire à Holyrood. Consciente du caractère inextricable de la situation, Nicola Sturgeon a fini par faire sienne une autre hypothèse, celle de l’organisation unilatérale d’un référendum consultatif. La stratégie a commencé à se dessiner après le rejet de sa dernière demande de référendum le 29 janvier 2020. Le Parlement écossais avait alors adopté une motion approuvant l’organisation d’une nouvelle consultation et, un an plus tard, Nicola Sturgeon a présenté un plan en onze étapes pour y parvenir. Ce plan prévoit que, si les indépendantistes remportent les élections de 2021, ce qui est le cas, et que le gouvernement britannique refuse à nouveau la tenue d’un nouveau référendum, le Parlement écossais adoptera une loi prévoyant la tenue d’un référendum consultatif. Pour plusieurs membres du SNP, la Cour suprême ne pourrait pas s’opposer à cette initiative parce que le succès d’un tel référendum n’emporterait pas, en lui-même, la désunion du Royaume-Uni. Il ne serait donc pas contraire au partage des compétences institué par le Scotland Act de 1998. Autrement dit, si la loi écossaise énonce clairement qu’il ne s’agit que d’un référendum consultatif, comment pourrait-elle conclure à son illégalité ? À notre sens, malgré ses mérites, la stratégie du SNP est périlleuse. Les juges pourraient tout à fait considérer qu’un référendum consultatif ne peut avoir d’autre objet que l’indépendance, à terme, de l’Écosse et que cela empiète bel et bien sur la compétence du gouvernement central. Si telle devait être sa position, alors la démarche écossaise pourrait connaître la même issue que celle engagée en Catalogne en 2017, ce qui serait catastrophique. Pour l’heure, il n’en est rien. Londres et Édimbourg s’observent et se concentrent sur la gestion de la pandémie. Mais, tôt ou tard, le SNP n’aura d’autre choix que de lancer les hostilités.