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Article 16

Le Royaume-Uni menace de déclencher l’article 16 pour mettre fin au protocole irlandais en contrariété avec ses obligations internationales

Par Gaëlle Marti, Professeure de droit public à l’Université Jean Moulin Lyon 3

EU running scared”, “Boris goes nuclear”, “EU turns screw as Article 16 row explodes”. Ces derniers jours, les tabloïds anglais ont fait leurs gros titres de la menace agitée par le gouvernement de Boris Johnson d’activer l’article 16 du protocole nord-irlandais afin d’en suspendre l’application.

Le protocole sur l’Irlande et l’Irlande du Nord, annexé à l’accord de retrait du Royaume-Uni[1], a été adopté afin d’éviter la réapparition d’une frontière physique sur l’île d’Irlande qui aurait mis en danger l’Accord du Vendredi saint du 10 avril 1998. Aux termes de ce protocole extrêmement complexe, l’Irlande du Nord continue de faire partie du territoire douanier britannique, mais applique également le code des douanes européen pour les marchandises qui sont destinées à être commercialisées dans l’UE. Et ce sont dans les ports d’entrée nord-irlandais que les contrôles douaniers, règlementaires, sanitaires et phytosanitaires ont lieu. Depuis son entrée en vigueur le 1er janvier 2021, les échanges commerciaux entre l’Irlande du Nord et la Grande-Bretagne ont connu un ralentissement considérable, du fait de la mise en œuvre de ces contrôles, et les images des files de camions bloqués dans les ports nord-irlandais, des rayons de supermarchés vides du fait des retards de livraison ont alimenté le mécontentement de la population.

Après avoir unilatéralement repoussé la mise en œuvre de ces contrôles, le gouvernement britannique est monté d’un cran dans l’affrontement en menaçant, au début du mois d’octobre, d’utiliser l’article 16 du Protocole nord-irlandais afin d’en suspendre l’application.

L’article 16 : de quoi s’agit-il ?

L’article 16 du protocole nord-irlandais met en place un dispositif de sauvegarde permettant à l’une des parties à l’accord de prendre unilatéralement les mesures appropriées en cas de « graves difficultés économiques, sociétales ou environnementales qui sont susceptibles de perdurer, ou une réorientation des échanges ». De telles mesures doivent être « limitées, dans leur champ d’application et leur durée, à ce qui est strictement nécessaire pour remédier à la situation » et doivent perturber le moins possible le fonctionnement du protocole.

Sur le plan procédural, il est prévu que la partie souhaitant déclencher l’article 16 doive engager immédiatement des consultations au sein du comité mixte prévu à l’article à l’article 164 de l’accord de retrait, « en vue de trouver une solution mutuellement acceptable »[2]. En outre, les mesures de sauvegarde envisagées ne peuvent être prises avant l’expiration d’un délai d’un mois, sauf « circonstances exceptionnelles nécessitant une intervention immédiate »[3], les mesures de protection prises dans cette hypothèse devant être notifiées au comité mixte. Celles-ci sont réexaminées tous les trois mois, dans le but de trouver une solution.

On le voit, si le déclenchement de l’article 16 du protocole nord-irlandais peut en effet être initié unilatéralement par l’une des parties à l’accord de retrait, les règles prévues mettent en place une procédure de consultation préalable sans laquelle toute mesure prise ne pourrait qu’être illégitime au regard du protocole.

Le déclenchement de l’article 16 du protocole nord-irlandais est-il légal ?

Outre le fait que Boris Johnson ne semble pas vouloir s’inscrire dans le cadre des obligations procédurales prévues par l’article 16, le principe même de la possibilité pour le Royaume-Uni d’en déclencher l’application semble sujet à caution.

L’article 16 institue en effet un mécanisme de sauvegarde, qui ne devrait pouvoir être déclenché que lorsque les circonstances dépassent ce qui pouvait raisonnablement être prévu lors de la conclusion de l’accord de retrait.

Or, il ne saurait être soutenu que Boris Johnson ne pouvait pas prévoir la situation découlant de l’application de l’accord de retrait, et du choix opéré par celui-ci en faveur du maintien de la libre circulation entre les deux parties de l’île d’Irlande. Alors que les Britanniques disposaient d’un délai de transition de près d’un an pour prendre des mesures préparatoires permettant l’application du protocole dans les meilleures conditions possibles, rien n’a été fait, ce qui a conduit à la situation catastrophique qui justifie maintenant, selon Boris Johnson, le déclenchement de l’article 16. Il est pourtant un adage bien connu en droit, selon lequel nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes…

De manière plus fondamentale, le comportement des autorités britanniques semble contraire au principe de bonne foi, principe général de droit international et règle d’interprétation des traités internationaux selon l’article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités[4] à laquelle le Royaume-Uni est parti depuis 1971. Boris Johnson n’a jamais eu l’intention d’appliquer ce protocole, en témoigne son projet de loi sur le marché intérieur de septembre 2020[5], projet qu’il n’a retiré que sous la pression de l’Europe et du Président américain Joe Biden.

En outre, l’objet même de l’article 16 implique qu’il puisse n’être déclenché qu’en dernier ressort, et seulement si la concertation avec l’autre partie s’est révélée infructueuse. Toute autre est l’utilisation qu’en fait Boris Johnson, dont la menace de l’article 16 semble être un instrument stratégique visant à forcer l’Union européenne à proposer l’allègement, voire l’abandon, des règles fixées dans le protocole et pourtant acceptées par Boris Johnson lui-même.

Enfin, les mesures qui peuvent être prises dans le cadre de l’article 16 ne peuvent être, selon les termes mêmes de cette disposition et de l’annexe qui l’explicite, que des « mesures limitées », bien loin donc de la suspension voire de la mise à l’écart du Protocole dont il semble être question à la lecture des déclarations des autorités britanniques.

Quelle réponse possible pour l’Union européenne ?

Pour l’instant, l’Union européenne semble jouer la carte de l’ouverture et de l’apaisement. M. Maros Sefcovic, vice-président de la Commission européenne a ainsi présenté, le 13 octobre dernier, des propositions visant à prendre en compte les difficultés rencontrées dans l’application du protocole[6]. Les mesures proposées consistent en des allégements des obligations administratives des entreprises, des réductions des contrôles sanitaires et phytosanitaires sur la plupart des denrées alimentaires, la mise en place d’une voie spécifique pour les transporteurs de produits destinés au seul marché nord-irlandais ou encore une modification des règles européennes en matière d’autorisation des médicaments afin d’autoriser les médicaments britanniques à entrer en Irlande du Nord plus simplement. L’assouplissement des règles serait garanti à la condition que la Grande-Bretagne applique intégralement les autres règles du Protocole.

Ces propositions ont toutefois peu de chance de trouver grâce aux yeux des autorités britanniques qui, sans attendre ces propositions, avaient proposé une révision totale du protocole pour assurer la libre circulation des marchandises entre l’Irlande du Nord et la Grande-Bretagne ainsi que le remplacement du mécanisme d’arbitrage prévu par l’accord sur le retrait[7]. Ce dernier prévoit ainsi la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne pour les questions intéressant le droit de l’Union[8], ce que les Britanniques contestent désormais.

En l’absence – probable – d’accord sur l’application du protocole, et si Boris Johnson décidait de mettre à exécution ses menaces concernant l’article 16, l’Union européenne pourrait prendre des mesures de rétorsion.

L’article 16, paragraphe 2, du protocole nord-irlandais prévoit en effet que « si une mesure de sauvegarde prise par l’Union ou le Royaume-Uni, selon le cas, conformément au paragraphe 1, crée un déséquilibre entre les droits et les obligations découlant du présent protocole, l’Union ou le Royaume-Uni, selon le cas, peut prendre les mesures de rééquilibrage proportionnées qui sont strictement nécessaires pour remédier au déséquilibre ».

L’Union européenne a ainsi prévenu Londres qu’elle n’exclurait aucune option si le Royaume-Uni passait outre le protocole nord-irlandais, qu’il s’agisse de telles mesures de représailles ou d’une action en justice visant à démontrer que les conditions de l’invocation de l’article 16 ne sont pas réunies, ce qu’elles ne sont manifestement pas.

[1] Accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique, JO L 29 du 31.1.2020, p. 7–187.

[2] Article 2 de l’annexe 7 au protocole sur l’Irlande et l’Irlande du Nord.

[3] Ibid., article 3.

[4] Aux termes de l’article 31, paragraphe 1, de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités : « Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but ».

[5] V. pour un commentaire de ce projet de loi l’article publié sur le site internet « L’observatoire du Brexit » : « Le projet de loi sur le marché intérieur : une atteinte au droit international qui ne fait pas honneur aux Britanniques ».

[6] V. l’article de Marie-Claire Considère-Charon, « Il n’y a pas que la pêche : l’avenir du Protocole nord-irlandais toujours incertain », publié sur le site internet « L’observatoire du Brexit ».

[7] Articles 170 et s. de l’accord de retrait précité.

[8] Article 174 de l’accord de retrait précité.

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