Le mercredi 11 septembre 2019, le Club des juristes a organisé une soirée-débat autour du thème :
« Rapport Gauvain : quels choix pour les entreprises françaises ? »
Le débat, animé par Julie Klein, Professeur de droit à l’Université de Rouen et Secrétaire générale adjointe du Club des juristes, a réuni :
- Raphaël Gauvain, Député de Sâone-et-Loire,
- Régis Bismuth, Professeur de droit, SciencesPo Paris,
- Jean-François de Montgolfier, Directeur des affaires civiles et du Sceau,
- Marc Mossé, Président de l’AFJE, Assistant General Counsel et Senior Director Government Affairs, Microsoft Europe,
- Marie-Aimée Peyron, Bâtonnier du Barreau de Paris et Avocat associée, Squire Patton Bogs,
- Daniel Schimmel, Avocat associé, Foley Hoag LLP New-York.
Retrouvez le Rapport rédigé par Raphaël Gauvain au Premier Ministre en bas de page, les interviews de certains des intervenants ainsi que les photos de la soirée.
Synthèse des échanges :
Le député Raphaël Gauvain présente les préconisations de son rapport pour répondre à la politique américaine de sanctions internationales qui empêche les entreprises européennes de commercer librement. En sont issues 9 recommandations dont 3 majeures qui demandent modification du droit :
- La modernisation de la loi de 1968, dite « loi de blocage », qu’on devrait appeler loi d’aiguillage puisqu’elle vise à faire passer par les voies de coopération (qui offrent des garanties) les demandes des autorités américaines aux entreprises françaises.
Le triptyque déclaration, accompagnement (par le SISSE) et sanction (2 ou 10 millions € contre 18 500 actuellement) doit permettre de donner sa portée à une loi encore jamais véritablement appliquée.
- La protection des entreprises françaises contre la transmission des données numériques aux autorités judiciaires américaines (Cloud Act), notamment par l’extension du RGPD et l’obligation de passer par les canaux de la coopération administrative et judiciaire.
- La protection de la confidentialité des avis juridiques en entreprises. Il s’agirait soit de créer une nouvelle profession réglementée des juristes d’entreprise, soit à l’inverse d’autoriser l’avocat en entreprise (sans qu’il puisse plaider, afin de préserver l’activité judiciaire des plaidants).
Avocat au barreau de New-York, Daniel Schimmel abonde en appelant à une révolution culturelle quant au statut d’avocat en entreprise, ne serait-ce que par égalité des armes dans les procès contre les américains dont les documents juridiques bénéficient de la confidentialité. Il rappelle que le legal privilege ne protège pas les discussions d’affaires ni les conversations qui fomentent une infraction. Seul l’avis stratégique juridique et ce qui l’entoure est protégé. Au contraire, ce statut contribuera à revaloriser la place du droit dans l’entreprise.
Bâtonnière de Paris, Marie-Aimée Peyron espère que cet énième rapport qui sollicite le statut de l’avocat en entreprise portera des fruits. Elle rappelle la stricte égalité de voix du dernier vote du CNB sur le sujet, qui recoupe selon elle moins une opposition Paris/province que barreau d’affaire/ avocats plaidants, et considère que cette évolution est inéluctable, comme l’a été la disparition du métier d’avoué. Elle souligne les garde-fous entourant le secret professionnel de l’avocat (qui vise moins à protéger ce dernier que son client), rappelle qu’il n’est ni au-dessus des lois, ni même au-dessus des perquisitions (comme le montrent tous les dossiers récents en pénal des affaires), et se porte volontaire pour une expérimentation qui permettra une étude d’impact.
Président de l’AFJE, Marc Mossé s’accorde avec les positions précédentes, en parlant d’une mesure d’intérêt général par l’efficacité du droit, et la bonne administration de la justice. Si les anglo-saxons ont pu à juste titre constituer un exemple en matière de lutte anticorruption, il est temps de les suivre également sur la pratique du legal privilege. Elle permettra d’être plus efficace sur les risk assesments et renforcera à terme la place du droit dans le pays et le dialogue entre les professions. Il invite d’ailleurs à préférer le terme de « confidentialité » plutôt que d’importer une expression qui suppose un système qui n’est pas le nôtre.
Jean-François de Montgolfier, directeur des affaires civiles et du Sceau salue la pertinence du Rapport Gauvain qui prend la question dans le bon ordre, plutôt qu’en l’abordant par les marchés à ouvrir à l’avocat ou par le statut du juriste en entreprise. Les choix du Gouvernement ne sont pas arrêtés : avocat ou pas, enregistré ou pas, à part ou pas, avec une liste d’actes exclus ou pas. La question n’est pas de simple ingénierie juridique, mais de savoir quel secret, opposable à qui, portant sur quoi et dans quelles conditions.
Au fond, quel est le secret qu’on est prêt à opposer à l’État ? La question est politique.
Le professeur Régis Bismuth s’accorde avec le diagnostic posé par le Rapport Gauvain. Mais il invite à ne pas s’arcbouter à la question de territorialité, qui ne s’applique pas réellement aux données. Les Américains eux aussi considèrent (et à bon droit) que le RGPD s’applique extraterritorialement, puisqu’il est parfois opposé dans des affaires 100% américaines.
Son regard est également circonstancié sur le legal privilege comme outil de protection face au autorités américaines, car les entreprises européennes qui l’ont déjà adopté restent largement condamnées.
Quant au règlement de blocage, le Pr Bismuth rappelle qu’il a déjà été réactualisé mais qu’il ne peut avoir d’effet que sur les dispositifs qui y sont listés en annexe. Or, les Américains profitent de leur maquis des dispositifs pour y échapper. Il faudrait donc le modifier dans le sens d’une interdiction générale de se conformer à une mesure de boycott étrangère.
Daniel Schimmel alerte néanmoins sur le risque de placer l’entreprise entre le marteau français de l’amende et l’enclume américaine du procès et sur le dialogue difficile entre les fonctionnaires de Bercy et les très puissants juges fédéraux américains.
A l’issue de ces interventions, une discussion s’engage avec les participants. Laurent Cohen-Tanugi s’inquiète du manque de coopération des ministères entre eux et avec les avocats. Raphaël Gauvain s’y accorde volontiers, et insiste sur la pertinence du SISSE comme point d’entrée unique pour dé-siloter.
Nicolas Michon soulève des limites au statut du legal privilege tel que proposé. Il rappelle que le filtrage n’est possible aux États-Unis que parce que les services sont dimensionnés pour, alors qu’en France le filtrage des documents soumis ou non au secret va bloquer toute progression des enquêtes.
Sur la loi de blocage, Margot Sève doute qu’il faille y voir la panacée contre l’extraterritorialité. En effet, c’est bien souvent les entreprises elles-mêmes qui souhaitent passer outre la loi de blocage pour montrer leur bonne foi aux autorités américaines.
Marc de La Pérouse appelle à renforcer la sécurité juridique des entreprises, sans craindre pour les prés carrés de chaque profession, et sans jouer un jeu franco-français dépassé. Les Etats-Unis sont à ce titre l’exemple d’une conciliation réussie entre un grand nombre d’avocats, de bonnes rémunérations, et des enquêtes efficaces.
Jean-François de Montgolfier souligne de manière conclusive qu’on pourra toujours tuer une idée en arguant que le résultat n’est pas parfait, en droit international plus encore qu’ailleurs ; et annonce des expérimentations à venir. Suite à ce rapport, il prévoit des avancées de la part du gouvernement pour l’automne.
Interviews des intervenants et les photos de la soirée :
Retrouvez également le Rapport Gauvain complet en bas de page.