Respect du contradictoire et règlements de différends devant les autorités de régulation
Peut-on considérer, ainsi qu’a pu le retenir la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 17 décembre 2015 (SNCF Réseau c./ ARAF RG n° 14/17695), que « Le principe du contradictoire ne revêt pas un caractère absolu et son étendue varie en fonction des spécificités des procédures en cause.» ? Saisie d’un pourvoi contre cet arrêt, la Cour de cassation, dans sa décision du 14 février 2018, n’a pas clairement écarté l’affirmation, tout en montrant qu’au cas d’espèce le contradictoire s’était bien exercé, ce qui, à la lecture de l’arrêt de la Cour d’appel, n’apparait guère contestable.
La position de la Cour d’appel peut ainsi n’être qu’approuvée en l’espèce, d’autant que n’apparaissait pas même évident que relevait pleinement du principe du contradictoire ce qu’invoquait SNCF Réseau. Celle-ci excipait en effet d’une violation du contradictoire faute de discussion suffisante et de présence au dossier des avis complets des tiers sur les mesures qui allaient être adoptées. Or, ces critiques apparaissaient davantage relever de la justification au fond de la décision que de sa légalité externe et finalement du pouvoir d’annulation et de réformation de la solution par la Cour d’appel.
Pour autant, au-delà de ces éléments, demeure l’affirmation, non explicitement censurée par la Cour de cassation, selon laquelle le respect du principe du contradictoire pourrait connaître des degrés et ce tout particulièrement en matière de régulation économique. L’arrêt est en effet intervenu dans le cadre d’un règlement de différends (« RDD ») opposant deux entreprises devant l’Autorité de régulation des activités ferroviaires (l’ARAF, devenue l’ARAFER).
Or, les procédures de RDD ont cela de particulier que l’autorité de régulation qui tranche le débat entre deux entreprises est bien plus impliquée qu’un juge civil ou commercial ne le serait. Par nature, le contradictoire s’y déroule dans un cadre très particulier. Toutes les autorités de régulation dotées d’une fonction juridictionnelle de RDD exercent en parallèle un pouvoir réglementaire dans le même secteur. Bien souvent, l’objet même d’un RDD dépasse la controverse portant sur des droits subjectifs. La solution qui s’en dégage peut ainsi interagir avec la manière dont l’autorité est intervenue (ou pas) pour réguler le marché, ce qui explique que, de plus en plus souvent, les autorités procèdent elles-mêmes en cours d’instance à des consultations auprès des acteurs du marché. La solution du RDD pourra même, le cas échéant, mettre en cause les règles que l’autorité a précédemment édictées. Cette spécificité de la position d’une autorité qui est à la fois juge-arbitre de différends et un acteur réglementaire peut d’ailleurs peut-être justifier le droit qui lui est reconnu de produire des observations en réplique aux critiques qui sont adressées à sa décision, comme celui d’être entendue par la Cour d’appel au même titre que les parties au RDD et,… en pratique, de soutenir l’une ou l’autre des parties.
Admettre ainsi, dans de telles circonstances et de telles procédures, une éventuelle atténuation du principe du contradictoire apparaît peu justifiable. Au contraire, si la décision contestée repose sur des pièces, des chiffres, des méthodologies dont l’autorité dispose, à quelque titre que ce soit, ou dont elle a pu débattre avec une des parties dans le cadre de ses pouvoirs réglementaires, de tels éléments ne devraient pouvoir servir de base à la décision que s’ils ont été pleinement soumis au contradictoire, entendu ici comme l’obligation d’en révéler la nature et la teneur précise. On ne peut demander à une partie de se battre contre des éléments « fantômes » ou « implicites », même au nom du secret des affaires. Ce qui ne peut être partagé de manière contradictoire parce que protégé à un titre ou un autre et serait pourtant nécessaire au fondement d’une prétention, ne peut ainsi servir de base pour trancher un RDD et donc être écarté.
En matière de RDD, le respect scrupuleux du principe du contradictoire pourrait ainsi participer de la restauration de l’impartialité objective de l’autorité mise en cause par le cumul des fonctions. En le respectant pleinement, l’autorité donne « à voir » qu’elle sait faire le départage entre les fonctions différentes que la loi lui assigne.
Olivier Fréget, avocat à la Cour, Cabinet Fréget & Associés, expert du Club des juristes.