Au cœur de l’été, plusieurs tribunes ont prescrit l’élection des députés au scrutin proportionnel. Dans ce système, les sièges sont attribués aux candidats à proportion des suffrages obtenus par chaque liste, de sorte que l’assemblée se trouverait mathématiquement proportionnée à la force numérique des opinions ou des partis dans le pays. On l’oppose au système aujourd’hui en vigueur : le scrutin majoritaire uninominal à deux tours, au terme duquel est élu, sur son seul nom, le candidat qui obtient le plus grand nombre de voix dans une circonscription.
Une telle aspiration resurgit périodiquement depuis un siècle et demi : l’histoire des Républiques, en France, est celle d’une longue préférence pour les scrutins majoritaires ponctuée çà et là par le choix de scrutins au caractère proportionnel plus ou moins affirmé, toujours promptement abandonnés.
Les principaux termes du débat sont connus : l’efficacité de l’action gouvernementale, fruit d’une limitation du nombre de partis présents à la chambre basse, serait du côté du scrutin majoritaire ; la justice et l’équité électorales, par l’effet d’une plus grande fidélité à la diversité de l’opinion, du côté de la représentation proportionnelle.
Encore faut-il préciser cette dernière, tant les nuances, en la matière, peuvent être nombreuses : proportionnelle intégrale ou par « dose », organisée à une échelle plus ou moins fine, avec un seuil plus ou moins élevé pour obtenir le premier élu, en un ou deux tours, avec ou sans prime majoritaire au bénéfice de la liste arrivée en tête, avec diverses méthodes de répartition des sièges complémentaires, avec des listes bloquées ou susceptibles d’apparentements, avec ou sans faculté pour les électeurs de panacher différentes listes.
Faisons d’emblée litière de deux illusions. La première voudrait que les réformes électorales tendent vers la quête d’un système objectivement meilleur : l’expérience historique révèle qu’elles sont toujours mises au service de l’intérêt, à court terme, de leurs promoteurs. La seconde voudrait qu’une telle réforme produise des résultats presque mécaniques dans l’ordre des comportements électoraux, de l’organisation des débats parlementaires et de l’équilibre des pouvoirs : ce ne fut guère le cas par le passé.
Les défenseurs de la proportionnelle ne manquent pas d’arguments. Ces derniers méritent d’être contestés. Elle favoriserait la diversité partisane ? La situation actuelle de l’Assemblée nationale ne permet pas, de manière immédiate, d’y voir une vertu. Elle inciterait les partis à former des coalitions, ce qui favoriserait une culture du consensus ? L’affrontement entre les partis restant au cœur des scrutins proportionnels, il est douteux que la culture politique française se trouverait reconfigurée de ce simple fait. La proportionnelle remettrait les idées au premier plan ? Dans différents pays européens où prévaut ce mode de scrutin, les stratégies électorales n’ont pas disparu. Elle offrirait du pays une photographie plus précise ? À l’aune de la conception traditionnelle de la représentation, qui veut que la nation entière confie au Parlement entier le soin de prendre des décisions en son nom, la pertinence de cet objectif peut être discutée. Elle défendrait mieux les minorités ? On risquerait, à l’inverse, de les surreprésenter.
À quoi s’ajoutent les défauts de ce système, trop souvent tus dans les tribunes. Le proportionnelle donnerait aux états-majors des partis une place encore plus importante que cela n’est aujourd’hui le cas dans le choix des candidats : peu importent les électeurs, tant que l’on est placé en haut d’une liste. Organisée à une échelle large, la proportionnelle survalorise les territoires urbains et périurbains. Elle produit des résultats moins clairs et lisibles que ceux qui résultent d’un scrutin majoritaire. Elle confère une importance politique démesurée aux petits partis. Elle ne remplit pas, dans un contexte de montée des extrêmes, la fonction d’endiguement traditionnellement remplie par le scrutin majoritaire : ainsi s’explique qu’on ait abandonné ce mode de scrutin, à différents moments de l’histoire, face aux périls monarchiste, boulangiste puis communiste.
Méfions-nous, en somme, de ce mode de scrutin qui n’est certainement pas le remède aux tribulations qui frappent nos institutions.