Précarisation de l’emploi, automatisation du travail, fin de la vie privée, surveillance de masse … le numérique effraie autant qu’il fascine. Dans cette période de transition, tout est bouleversé : les entreprises, la justice, les politiques publiques mais aussi la vie quotidienne des individus. Tout cela inspire discours critiques et jugements moraux. Mais l’enjeu n’est plus uniquement de critiquer. Il faut mieux comprendre l’évolution pour en tirer parti et imaginer les réponses qui s’imposent.
Nicolas Colin est un ancien haut fonctionnaire. Il est co- auteur d’un rapport remarqué sur la fiscalité du secteur numérique et d’une note du Conseil d’analyse économique sur le droit à l’expérimentation permettant aux start-up de disposer de la marge de manœuvre nécessaire à leur développement rapide. Il est, aussi, co-fondateur d’un accélérateur de croissance pour les start-up. Après avoir écrit avec Henri Verdier un ouvrage sur l’Age de la Multitude dans lequel ils tentaient de caractériser l’économie numérique et les (r)évolutions dont elle était la cause, il vient de publier avec Laetitia Arnaud cet ouvrage incontournable « Faut- il avoir peur du numérique. »
La révolution numérique en tant que telle a commencé il y a un peu plus de 25 ans. Le Web a été inventé en 1989, le premier navigateur en 1993, Google en 1998. La mise en réseau des ordinateurs personnels a provoqué une déflagration : des entrepreneurs se sont lancés pour créer de nouvelles applications et découvrir de nouveaux modèles d’affaires ; des financiers ont investi des milliards de dollars et déclenché une bulle spéculative qui a permis de financer d’immenses infrastructures et les milliers d’entreprises qui cherchaient à en tirer parti. Lorsque la bulle a éclaté, en 2000, tout cela est resté en place. Plusieurs pays, dont la France, se sont détournés du numérique, croyant à tort que cette « nouvelle économie » ne serait qu’un feu de paille. La Silicon Valley, elle, a continué à investir et à faire grandir ces entreprises numériques dont la multiplication et la croissance nous font entrer dans une nouvelle phase : la transition numérique. Plus une entreprise numérique court, plus elle court vite et elle ne s’arrête que lorsqu’elle a conquis la totalité de son marché. C’est pourquoi Google domine à ce point la recherche en ligne, Amazon la vente de détail ou Uber le transport en ville.
Le numérique se distingue de l’économie traditionnelle, fordiste, pour reprendre l’expression des auteurs, sur deux plans : un changement beaucoup plus rapide, du fait des phénomènes des rendements croissants et des effets de réseau, et la concentration sur un nombre restreint de pays. Nos institutions, héritées de la période antérieure, ne sont plus adaptées. Mais ce n’est pas parce que le numérique les met en danger qu’il faudrait nous forcer à ralentir la course et ne pas évoluer. Encore aujourd’hui, le discours de nos élites au sujet du numérique est teinté de peur et de rejet.
C’est la raison d’être de cet ouvrage : Ne pas se contenter des idées reçues, dissiper les malentendus. Les auteurs ont, méthodiquement, recensé 25 questions qu’inspirent le numérique auxquelles ils se sont efforcés de répondre pour nous permettre de nous faire notre propre opinion. Grâce à un style alerte et vivant et à une parfaite connaissance du sujet, les auteurs mettent le doigt sur toutes les questions qui cristallisent le plus de craintes.
La peur de voir nos emplois salariés remplacés par des automates ou par des indépendants, la question des données personnelles affichées sur la place publique, la mise à nu du pire de la nature humaine, la pédopornographie, le terrorisme, la radicalisation et le harcèlement sont quelques-unes des questions soulevées.
La prise de conscience d’un bouleversement aussi profond ne s’est manifestée qu’en 2010-2011. Il est nécessaire, à l’heure ou les grandes manœuvres pour la prochaine élection présidentielles ont commencé, de faire entrer le numérique dans le débat politique. Il faut passer à l’action. La puissance viendra des interactions entre les gens, la multitude, plutôt que dans la communication à l’ancienne entre les organisations et les gens. C’est tout l’intérêt de ce livre qui trace les pistes qu’il serait nécessaire d’explorer au plus vite.
Nicolas Colin est ancien haut fonctionnaire et cofondateur d’une société d’investissement. Il est l’auteur de nombreux travaux sur le numérique.
Laetitia Vitaud après une carrière dans l’enseignement en classes préparatoires et à Sciences Po, travaille dans l’économie numérique.
Idées claires – Armand Colin – Septembre 2016