Le mécanisme du «bad leaver» appliqué au salarié investisseur dans un LBO n’est pas illicite.
Par un arrêt du 7 juin 2016 , la Cour de cassation refuse d’appliquer la protection du droit du travail au salarié investisseur dans un LBO dans le cas d’une clause de bad leaver.
Le salarié qui investit dans la holding qui a racheté et contrôle l’entreprise qui l’emploie doit-il être protégé en tant que salarié ? C’est la question à laquelle a dû répondre la chambre commerciale dans une affaire relative à la mise en œuvre par l’investisseur financier d’une promesse de vente sur titres consentie par un manager investisseur dans un pacte d’actionnaires. Dans ce type de promesses, classiques dans les opérations de LBO, le prix d’exercice en cas de départ du manager subit une décote dans certaines circonstances négatives, ce départ étant réputé « hostile » (« bad leaver »).
S’agissant du manager mandataire social, la chambre commerciale s’est déjà prononcée en faveur de la validité de ce mécanisme de décote .
S’agissant du manager salarié, la même chambre – après avis de la chambre sociale – confirme la validité du mécanisme en dépit de l’invocation des règles protectrices du droit du travail, et rejette le pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Versailles .
En l’espèce, la salariée soutenait que la promesse de vente, assortie d’une décote de bad leaver, constituait une sanction pécuniaire prohibée par l’article L. 1331-2 du Code du travail. La démarche n’était pas inédite : la Cour de cassation avait déjà annulé sur ce même fondement une stipulation privant un salarié de la faculté de lever ses stock-options en cas de licenciement pour faute grave . Cette décision ouvrait une brèche qu’il était tentant d’élargir.
Toutefois, à l’inverse de la privation d’exercice des stock-options, la mise en œuvre du bad leaver ne prive pas le salarié d’une part de sa rémunération en tant que salarié. Comme le relève la Cour de cassation, cette clause «s’inscrit dans un processus d’amélioration de la rémunération de l’intéressé mais également d’association à la gestion et d’intéressement au développement de la valeur de l’entreprise». Cette rémunération ne constitue pas du salaire au sens du Code du travail, du moins tant qu’elle comporte un aléa représenté par le risque capitalistique pris par l’investisseur.
Ensuite, sauf à démontrer une situation de co-emploi, ce que la jurisprudence sociale tend à rendre plus difficile, l’investisseur financier qui met en œuvre la promesse n’est pas l’employeur du salarié. Sur ce point, les juges refusent de se contenter de l’affirmation vague d’une quelconque influence de l’actionnaire majoritaire sur l’entreprise employeuse pour qualifier un prétendu lien de subordination.
C’est donc logiquement que la chambre commerciale décide qu’une décote de bad leaver ne constitue pas une sanction pécuniaire illicite. Une telle orientation prétorienne paraît sage.
Toutefois, l’on peut s’interroger sur ce qu’elle entend préciser en ajoutant que la clause de bad leaver «ne s’analyse pas en une sanction pécuniaire prohibée, en ce qu’elle ne vise pas à sanctionner un agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif dès lors qu’elle s’applique également dans toutes les hypothèses de licenciement autre que disciplinaire». Moyennant quoi, elle semble suggérer qu’il demeurerait des hypothèses dans lesquelles la clause de bad leaver constituerait une sanction pécuniaire illicite.
L’arrêt d’appel ne comportait pas cette nuance, les juges du fond s’attachant surtout au fait que la décote soit intervenue dans le cadre « d’un investissement, volontaire et librement consenti» et dans une société qui n’est pas l’employeur. Une position identique avait ensuite été adoptée par la Cour d’appel de Lyon , laquelle était venue ajouter que la clause de bad leaver n’était pas potestative au sens des articles 1170 et 1174 du Code civil.
Dès lors, si l’arrêt de la Cour de cassation vient renforcer la sécurité juridique des clauses de bad leaver, il demeure une légère marge d’interprétation qui ne manquera pas d’être exploitée par d’autres salariés investisseurs.
Frédérik Azoulay, associé, département Contentieux & Arbitrage DLA Piper, partenaire du Club des juristes