De l’aveu même de l’Autorité de la concurrence, la procédure de clémence, qui permet à une entreprise de dénoncer sa participation à une entente, est l’outil privilégié pour détecter les accords anticoncurrentiels. D’apparence séduisante, elle présente néanmoins un caractère contraignant et un manque de prévisibilité croissant qui pourraient, à terme, nuire à son efficacité.
A première vue, tout le monde y gagne : l’Autorité peut sanctionner une entente qu’elle n’aurait peut-être pas décelée et l’entreprise qui la dénonce peut mettre un terme à ses pratiques tout en bénéficiant, selon l’ordre d’arrivée de sa demande, soit d’une immunité totale, soit d’une réduction d’amende, qui peut être significative.
L’attractivité de la clémence doit toutefois être relativisée. En pratique, il s’agit d’une procédure lourde pour l’entreprise et la récompense finale ne s’obtient qu’au prix d’une coopération « véritable, totale, permanente et rapide » avec l’Autorité.
Ainsi, dès la prise du marqueur, étape clé pour sécuriser son rang d’arrivée, le demandeur doit apporter des éléments substantiels relatifs à l’entente, qui doivent permettre à l’Autorité de déclencher son enquête ou présenter une valeur ajoutée significative par rapport aux faits dont elle a déjà connaissance. S’en suit alors une période intense d’un mois (voire deux), au cours de laquelle l’entreprise doit constituer un dossier de clémence avec tous les éléments de preuve en sa possession relatifs à l’entente présumée. L’entreprise bénéficie ensuite d’un avis de clémence provisoire jusqu’à l’issue de la procédure qui subordonne le bénéfice effectif de l’immunité (ou du taux de réfaction accordé) au respect de plusieurs conditions cumulatives, dont une obligation de coopération étendue.
Tout manquement à l’une de ces conditions, même par simple négligence et sans conséquence sur le bon déroulement de l’enquête, pourra être reproché à l’entreprise, peu important qu’elle ait par ailleurs fait ses meilleurs efforts pour coopérer activement avec l’Autorité. Selon la gravité du manquement, la récompense tant espérée n’en sera que moindre, l’Autorité pouvant décider de retirer le bénéfice de la clémence, accorder une réduction inférieure à celle fixée dans l’avis conditionnel ou prononcer une amende forfaitaire. Et l’Autorité peut se montrer particulièrement sévère !
Devant une telle incertitude quant à la récompense finale, les entreprises, pour qui l’immunité d’amende est le principal facteur incitatif, pourraient ainsi se détourner de la procédure de clémence, ce d’autant plus qu’elles s’exposent aujourd’hui à la montée des actions privées, dont le développement risque de fragiliser encore un peu plus son intérêt.
Choisir la voie de la clémence n’est donc pas une décision à prendre à la légère. Si elle présente incontestablement de nombreux avantages, lesquels pèsent souvent lourds dans la balance, elle n’en demeure pas moins un parcours du combattant dans lequel l’entreprise doit s’engager avec prudence.