Avide de données prospectives, le marché se nourrit constamment des projections et ambitions affichées par les sociétés cotées. La sensibilité des cours à ces publications a conduit à l’émergence d’un régime juridique spécifique, issu du rapport Lepetit d’avril 2000. Y sont distingués les objectifs et les prévisions, et précisés le devoir de mise à jour des émetteurs qui ont recours à de tels indicateurs. Ceux-ci doivent, conformément à leur obligation d’information permanente, faire connaître les nécessaires corrections de leurs prévisions et divulguer toute donnée permettant de considérer avec une probabilité suffisante que les objectifs annoncés ne seront pas atteints.
Suivant cette logique, la Commission des sanctions de l’AMF a régulièrement sanctionné des sociétés cotées qui, après avoir choisi de s’exprimer publiquement sur leurs résultats à venir, n’avaient pas ou tardivement rectifié les attentes subséquentes du marché. A contrario, rien n’étant précisé concernant celles qui n’utilisent pas de tels outils de communication, celles-ci pouvaient ne pas sembler tenues au même degré de vigilance et de réactivité pour corriger le cas échéant les espoirs des investisseurs.
Par une décision du 23 juillet dernier, l’organe répressif du régulateur a apporté à cet égard une précision cruciale. Dans cette affaire, plusieurs initiés primaires ont été poursuivis et sanctionnés pour avoir vendu leurs titres après avoir été informés d’une baisse alors probable de l’Ebit, passé à 10,4 % du chiffre d’affaires, après avoir été compris au cours des années précédentes entre 12 et 14 %. Par la même occasion, l’AMF a frappé l’émetteur concerné pour ne pas avoir diffusé immédiatement cette information privilégiée.
Pourtant, cette société n’avait rendu public aucune projection ni aucun objectif concernant son niveau de marge anticipé. Au demeurant, elle n’en avait pas encore établi le montant définitif et allait déterminer un chiffre plus précis puis l’annoncer le mois suivant, après clôture de l’exercice, à l’occasion de la publication de son chiffre d’affaires annuel. L’AMF juge toutefois que le marché pouvait s’attendre à un Ebit situé dans la fourchette habituelle et, qu’en présence d’une valeur qu’elle estime « très inférieure » à celle-ci, la mise en cause devait communiquer sans délai.
Pour les émetteurs, la nouveauté est notable. Ils savent désormais que même s’il n’ont pas pris part à la formation des attentes du marché par la divulgation de données prospectives et même si lesdites attentes ne sont pas reflétées par un consensus d’analystes, ils doivent faire connaître promptement toute information sur une évolution suffisamment importante de leurs perspectives de rentabilité. L’ESMA pourrait néanmoins éclairer cette question dans les mois à venir par la rédaction de nouvelles orientations sur les situations dans lesquelles un intérêt légitime pourrait les autoriser à reporter une telle annonce.
Didier Martin et Mathieu Françon