Accord collectif et contrat de travail : l’autre enjeu
La mission Combrexelle sur le renforcement de la place des accords collectifs a été installée le 4 mai 2015 avec l’objectif de permettre de renvoyer à la négociation collective l’adaptation du droit du travail.
Certes, l’enjeu réside dans la détermination future du rapport entre l’accord collectif et la loi et ces travaux conditionneront l’éventuelle cure d’amaigrissement que l’on imposera au code du travail, qualifié volontiers d’obèse. Mais il faudra surtout en profiter pour préciser l’articulation entre contrat de travail et accord collectif, exigence déterminante pour le succès d’une telle métamorphose de notre droit.
On a coutume de penser que le contrat de travail est un contrat d’adhésion par lequel la partie faible, le salarié, n’a pas les moyens de créer les conditions d’un rapport équilibré dans la conclusion du contrat avec l’employeur. Ce dernier, susceptible d’imposer des clauses excessives au détriment du salarié, légitime le juge à requalifier des stipulations qui sont réputées non écrites, ou de réduire la portée de clauses vues comme illicites.
Il n’empêche que malgré cette méfiance suscitée par les rapports déséquilibrés se nouant à la conclusion du contrat de travail, l’accord collectif signé par des organisations syndicales représentatives, réputé plus équilibré vis-à-vis de l’employeur dans les rapports de forces, n’est cependant pas reconnu comme suffisant pour contracter pour le compte des salariés pris individuellement.
On est en présence d’un jeu de miroir diabolique entre ces outils qui, selon les cas, rendent tour à tour le contrat de travail ou l’accord collectif, essentiel ou sans effet. Ainsi, le contrat de travail peut s’avérer inutile lorsqu’il n’existe pas d’accord collectif. La convention de forfait jours nécessite par exemple un accord d’entreprise préalable pour valider un contrat de travail en ce sens, à peine de nullité. Le consentement individuel adossé à un accord collectif « validant » l’acceptation du salarié est primordial. Prime à l’accord collectif donc. Mais prime aussi au contrat de travail, lorsque le salarié refuse la convention de forfait jours telle que négociée par ses représentants ! Un partout. Dans ces conditions, comment accorder davantage de valeur à l’accord collectif si la place du contrat de travail n’est pas clarifiée à l’égard de l’accord ?
Cette articulation hésitante entre contrat et accord se révèle plus encore à l’occasion du traitement juridique du refus individuel d’autres modifications du contrat de travail proposées par application d’un accord collectif, qui selon les cas, entraîne des conséquences diamétralement opposées.
Ayant toujours le droit de refuser un avenant à son contrat de travail, le salarié ne peut être en principe licencié ou bien s’il l’est, il faut chercher un motif réel et sérieux c’est-à-dire légitime de la part de l’employeur. Ainsi, en cas de refus individuel du salarié en application de certains accords collectifs, l’employeur est plus ou moins bien fondé à le licencier. Il l’est, on peut l’espérer, en cas de refus individuel d’un accord majoritaire de maintien de l’emploi mais rien n’est moins sûr en cas de refus à un accord collectif de mobilité interne, faute de motif économique.
La perspective du renforcement de la place des accords collectifs doit mettre un terme à cette situation inutilement complexe. Soit le contrat de travail est superflu en cas d’accord collectif a fortiori majoritaire, puisque ce dernier est réputé paré des garanties d’un consentement éclairé au profit de la partie faible au contrat et dans ce cas, inutile de rechercher un accord individuel redondant, le refus ne pouvant s’analyser qu’en une démission, faute d’intention de l’employeur de licencier ce salarié.
Soit malgré l’accord collectif, l’acquiescement par contrat de travail demeure requis et il conviendra alors de sortir de la défiance que suscite l’engagement individuel pour permettre au salarié, par contrat de travail, de déroger à tout accord collectif, voire de s’engager même en son absence.
Reste le cas de l’absence d’accord collectif par refus des syndicats. Si la loi n’y peut rien, si le contrat de travail non plus, on aura le choix entre le blocage de l’entreprise ou l’émergence du referendum comme ultime recours. En bref, l’enjeu de ces futures réformes consiste à redéfinir précisément la place du contrat de travail dans le panthéon des normes.