Une nouvelle loi pour lutter contre le terrorisme : la France prise dans la spirale de l’exception
« Pas de liberté aux ennemis de la liberté », la phrase de Saint-Just résume bien l’état d’esprit qui gouverne la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme. Le dilemme n’est pas vraiment nouveau. À chaque menace sociale massive, le gouvernement réagit par l’affichage d’une réglementation répressive, libéralisant l’action de l’administration. L’objectif politique est clair : rassurer les citoyens toujours avides d’une plus grande illusion de sécurité. Quatorzième en moins de trente ans, la dernière loi contre le terrorisme est frappée du sceau de cette idéologie sécuritaire. Deux mesures nouvelles se détachent.
D’abord, l’interdiction administrative de sortie du territoire d’un ressortissant français s’il existe des raisons sérieuses de croire qu’il projette de se déplacer à l’étranger pour participer à une action terroriste ou se former en vue de sa réalisation. Certes, certaines garanties procédurales ont été prises, dans le but de limiter le risque de censure de la Cour européenne des droits de l’homme, en particulier s’agissant de la durée de cette mesure et des recours dont elle peut faire l’objet. Pour autant, on ne peut manquer de rester inquiet face aux dangers qu’un tel dispositif recèle. En pratique, l’interdiction sera prononcée sur la base unilatérale des renseignements des services du ministère dont on a vu, lors de l’affaire de Tarnac, qu’ils sont loin d’être infaillibles. La subjectivité renforce le risque d’arbitraire. L’objectif est évidemment louable : éviter que des ressortissants français ne partent se former à l’étranger pour revenir fanatisés et potentiellement dangereux. Mais la généralisation d’un dispositif légal d’interdiction permettant, sans réelle justification, à l’administration de priver un français de son passeport ne peut laisser indifférent.
Mais l’interdiction de sortie n’est pas, au final, la mesure la plus critiquable du nouveau dispositif législatif. Lors des débats parlementaires, un amendement a instauré l’interdiction administrative d’entrée sur le territoire français de tout étranger, ou de toute personne de sa famille, serait-il ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne, dès lors que sa présence constituerait « une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société ». Trouver la justification de cette atteinte exceptionnelle à la liberté d’aller et de venir, comme au respect de la vie privée, n’est guère aisé. On aurait pourtant voulu savoir comment le gouvernement concilie cette mesure avec le droit de l’Union européenne et notamment avec la directive du 29 avril 2004 qui interdit les restrictions à la liberté de circulation des citoyens des Etats membres. Ce d’autant plus, que l’interdiction d’entrée ne peut pas faire l’objet d’un recours juridictionnel assorti d’un débat contradictoire mais seulement d’une demande de mainlevée un an après son prononcé. A peine votée, la loi nouvelle est déjà menacée de nombreuses questions prioritaires de constitutionalité (QPC). Avec quel avenir ? On sait que le Conseil constitutionnel a su faire preuve par le passé d’une grande compréhension pour laisser les gouvernements se doter de moyens juridiques exceptionnels pour lutter contre le terrorisme. En tout cas, une chose est certaine : comme c’est maintenant l’habitude en matière d’atteinte aux libertés, le débat parlementaire se poursuivra par un âpre débat judiciaire.
À ce sujet, il ne faut pas faire preuve d’angélisme. Personne ne peut nier la nécessité absolue de combattre juridiquement de façon efficace la menace terroriste. Mais pas à n’importe quel prix. Au nom d’une surenchère législative en vue d’assurer à tout prix une répression légitime, la France risque de se perdre. « L’Etat qui prétend éradiquer toute insécurité, même potentielle, est pris dans une spirale de l’exception, de la suspicion qui peut aller jusqu’à la disparition plus ou moins complète des libertés », écrivait Mireille Delmas-Marty. Reste à savoir quelle juridiction investie du contrôle des droits fondamentaux aura encore le courage de « raisonner la raison d’Etat ».