Un dirigeant qui apprend l’existence d’une opportunité, telle que la possibilité de conclure un marché, d’acheter un bien, etc., doit-il nécessairement en faire profiter la société qu’il dirige ou peut-il s’en saisir pour lui-même ?
La réponse à cette question des « corporate opportunities » ou opportunités d’affaires, qui touche à la théorie des conflits d’intérêts, se pose avec la même acuité dans les pays de common law, où c’est avant tout le juge qui crée la règle, et dans les pays de droit écrit comme la France, où le juge devrait en principe se limiter à appliquer la loi.
Les juristes américains présentent la question comme l’une des plus sensibles du droit des affaires, bien plus complexe que celles consistant à savoir si un dirigeant peut faire concurrence à sa société ou s’il a le droit d’utiliser les biens sociaux pour son compte. Les juridictions américaines appliquent plusieurs critères pour résoudre la question. Elles cherchent notamment à savoir si la société pouvait exploiter l’opportunité et si le dirigeant a eu connaissance de celle-ci dans l’exercice de son mandat social (méthode dite « multifactor Delaware test »).
En France, on répond à la question en regardant si le dirigeant a manqué à son devoir de loyauté, ou s’il a porté atteinte à l’intérêt social. La Cour de cassation a ainsi, au nom de la loyauté, interdit par un arrêt important du 15 novembre 2011 au dirigeant d’une société A de négocier un marché pour le compte d’une société B intervenant dans le même domaine d’activité que A.
En Angleterre, c’est un article de loi (section 175 du Companies Act) qui aborde la question des opportunités d’affaires, en demandant aux dirigeants d’éviter les situations de conflit d’intérêts. C’est chez nous le juge qui règle cette question, tandis qu’on attend encore de notre Code de commerce qu’il affirme clairement que le dirigeant doit agir dans l’intérêt de sa société. La France n’est plus exclusivement un pays de droit écrit, soit ; devenons-nous un pays de common law ?