Quel avenir pour l’arbitrage d’investissement intra-UE ?
Après avoir reçu compétence en matière de Politique Commerciale Commune (PCC) par le traité de Lisbonne en 2009, l’UE s’est montrée hostile à l’égard des tribunaux arbitraux d’investissement. En une décennie, elle a remis en cause le système existant de règlement des litiges entre investisseurs européens et Etats membres. L’avenir de l’arbitrage d’investissement entre parties européennes se dessine aujourd’hui dans une grande insécurité juridique.
Remise en cause des TBI intra-européens et des procédures pendantes
Au lendemain de la retentissante décision Achmea (CJUE, 6 mars 2018, C-284/16) considérant que les traités bilatéraux de protection des investissements (TBI) entre Etats membres (‘TBI intra-européens’) étaient contraires aux principes d’autonomie du droit de l’UE et de confiance mutuelle entre les Etats membres, ceux-ci ont adopté le 24 octobre 2019 un projet d’Accord multilatéral (‘l’Accord’).
Par cet Accord, les Etats membres entendent mettre fin rétroactivement à l’ensemble des quelque 190 TBI intra-européens encore applicables, et ce dès l’entrée en vigueur de l’Accord (sous réserve de la signature de cet Accord par au moins deux Etats). Cela concerne également les éventuelles clauses de survie (sunset clauses) des TBI prévues pour prolonger la protection accordée aux investisseurs pendant quelques années nonobstant la dénonciation d’un traité.
Si l’Accord ne remet pas en cause les litiges définitivement résolus, c’est-à-dire ceux ayant fait l’objet d’un accord amiable ou d’une décision finale dûment exécutée ne faisant plus l’objet de recours au 6 mars 2018, il laisse néanmoins ceux faisant encore l’objet de procédures pendantes dans la plus grande incertitude. L’Accord prévoit toutefois que ces procédures fassent l’objet, dans les six mois de la dénonciation du TBI, d’un “dialogue structurel” dont l’organisation relèvera du droit interne de chaque Etat membre. Ce dialogue structurel sera conduit par un “facilitateur impartial” nommé conjointement par les parties.
Outre le fait qu’un tel mécanisme semble heurter la philosophie même de l’arbitrage international – qui est d’internationaliser le litige et de l’amener devant une juridiction indépendante sans lien avec l’Etat -, l’Accord est encore silencieux sur deux points qui paraissent pourtant cruciaux : d’une part, l’autorité de nomination du facilitateur en cas de désaccord entre les parties ; d’autre part, le sort des litiges en cas d’échec de ce dialogue.
Incertitude quant à la réaction des tribunaux arbitraux
Le sort de certains traités multilatéraux, notamment le Traité sur la Charte de l’Energie (TCE), reste tout aussi incertain. Si la plupart des Etats membres ont considéré que la décision Achmea s’appliquait au TCE, la Finlande, le Luxembourg, Malte, la Slovénie et la Suède recommandent d’attendre que la CJUE rende une décision sur la compatibilité de ce traité avec le droit de l’UE.
En dépit de l’avis majoritaire des Etats membres, l’on observe une tendance des tribunaux arbitraux déjà constitués sur le fondement du TCE à rejeter les arguments visant à remettre en cause leur compétence du fait d’une contrariété avec le droit de l’UE. Il en va de même pour les tribunaux constitués sur le fondement de TBI intra-européens : seule l’opinion dissidente d’un arbitre dans une affaire toute récente appliquait la solution préconisée par l’arrêt Achmea (affaire Adamakopoulos c. Chypre).
Incertitude quant à la future cour permanente compétente en matière d’investissement
Les négociations sur le futur accord européen de protection des investissements étant toujours en cours, il reste à déterminer quel sera l’organe adjudicateur qui remplacera les actuels tribunaux arbitraux.
Sous sa forme actuelle, la proposition de cour permanente de la Commission européenne ne laisse aucune place au système en vigueur. Si le mécanisme proposé permet de gagner en légitimité et en transparence, il semble toutefois ne pas offrir les mêmes avantages que l’arbitrage, en premier lieu desquels une spécialisation adéquate des juges amenés à trancher des litiges dans des domaines très variés et techniques.
Ces litiges étant majoritairement initiés par des personnes morales, c’est prendre le risque d’une hausse de la pratique dite du “treaty shopping”, c’est-à-dire de la restructuration d’une entreprise dans le seul but de bénéficier d’un traité plus favorable. En ce sens, l’avenir de l’arbitrage d’investissement entre parties européennes s’avère encore très incertain.
Par Gaëlle Filhol, avocate associée et Antoine Cottin, juriste, BETTO PERBEN PRADEL FILHOL, Partenaire du Club des juristes